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Médicaments : les multiples réformes n’ont pas donné leurs fruits

Le Conseil de la concurrence a reçu, le 19 mars 2013, une demande d’avis émanant de l’Organisation Démocratique du Travail. Cette demande d’avis est intervenue dans un contexte général où la santé et, plus particulièrement, les médicaments, sont devenus un enjeu socioéconomique déterminant pour l’avenir de notre pays, constat confirmé par les impacts et impératifs de la pandémie de la Covid-19. Constat: la part des dépenses nationales de santé supportées par les ménages est de près de 48,36%, loin de la moyenne internationale qui s’établit à 25% selon l’OMS.

L’analyse de l’offre au niveau du marché national du médicament, à partir des éléments relatifs à la production et à l’importation du médicament pour couvrir la demande nationale, montre que le secteur du médicament représente une économie considérable non seulement par le chiffre d’affaires généré ou les emplois directs et indirects créés, mais surtout par l’importance stratégique de ce produit pour le maintien de la bonne santé de la population. Selon l’Association Marocaine de l’Industrie Pharmaceutique (AMIP) et le Ministère de la Santé, le besoin national en médicament en fabricant localement près de 60% des besoins et en important 40%. Les importations du Maroc en médicament restent beaucoup plus importantes que les exportations, puisqu’elles représentent près de 40% de la demande nationale.

Cette situation affecte la balance commerciale nationale avec un déficit qui ayant avoisiné les 5,3 milliards de dirhams en 2019. L’analyse de la demande fait savoir que le marché national du médicament est de petite taille (près de 36,2 millions de personnes), avec un faible pouvoir d’achat et un financement public limité. Le marché marocain du médicament s’élève à 16 milliards de dirhams et se compose de deux segments de la demande : 80% émane de la demande du secteur privé, essentiellement représenté par les officines et cliniques privées, et 20% de la demande est générée par les structures de soins publiques (Hôpitaux publics, Centres Hospitaliers Universitaires et Hôpitaux militaires). Le secteur pharmaceutique au Maroc exporte environ 11% de la production nationale. Toutefois, malgré le potentiel dont dispose l’industrie pharmaceutique nationale en capacité de production et le niveau élevé en termes de qualité, les exportations ont peu évolué et ne parviennent pas à compenser la hausse continue des importations. Quant à la distribution du médicament au niveau du marché national, elle s’appuie sur deux circuits, le premier est dominant avec près de 84% des médicaments commercialisés auprès des grossistes répartiteurs, qui eux-mêmes approvisionnent l’officine pour les mettre à la disposition des consommateurs. Le deuxième circuit est secondaire et consiste à ce que l’établissement pharmaceutique industriel attribue directement 10% des médicaments aux cliniques et aux hôpitaux, tandis que le reste (6% du marché) passe directement du laboratoire à l’officine

Analyse concurrentielle du marché du médicament

« Le secteur du médicament n’est pas un marché normal soumis totalement aux règles de l’offre et de la demande et à la libre concurrence. Il est caractérisé par l’intervention de l’Etat, à travers une réglementation très stricte et ce, dans le but de préserver la santé des citoyens, en tant que service public, et de garantir l’accessibilité aux médicaments à juste prix », analyse le conseil de la concurrence qui tient à souligner par ailleurs que cela n’exclut pas l’application des règles du droit de la concurrence. Parallèlement, le gouvernement a mis en place plusieurs politiques publiques qui concernent le marché du médicament, en vue de développer l’accessibilité et l’industrie. « L’analyse de la politique actuelle fait ressortir qu’elle est fragmentée et manque d’une vision globale cohérente », déplore le conseil.

Toutes ces spécificités font que « la demande au niveau de ce marché n’exerce pas son rôle naturel en tant que levier majeur de la concurrence, vu qu’elle est peu élastique au prix, car en grande partie prise en charge par la couverture médicale ». Aussi, « il s’agit d’une demande dérivée, étant donné que le patient ne fait pas une demande directe de médicament, mais répond plutôt à une prescription faite par un médecin ». Il s’agit donc d’un marché de prescription. Ces médicaments prescrits, qu’ils soient fabriqués localement, importés ou destinés à l’export, devraient faire l’objet avant leur commercialisation ou leur distribution, à titre gratuit ou onéreux, en gros ou au détail, d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), délivrée par le ministère de la Santé. Par rapport à l’ancien système, la réforme du système des AMM en 2015 a permis d’enregistrer une nette amélioration par l’uniformisation des documents demandés et la fixation d’un calendrier pour l’examen et l’octroi de l’AMM. Néanmoins, cette réforme n’a pas permis d’enregistrer une évolution dans l’octroi des AMM. A contrario, les données fournies par le ministère de la Santé pour les années 2016, 2017 et 2018 font état de baisses importantes de près de 51% entre 2016 et 2018.
L’analyse de ces données montre que la réforme du système d’octroi des AMM n’a pas abouti aux résultats escomptés, alors qu’elle constitue un levier essentiel et incontournable pour dynamiser la concurrence entre les laboratoires. Le conseil de la concurrence reste catégorique : «Malgré les réformes introduites, le régime en vigueur continue de peser sur l’accès du médicament au marché, ce qui affecte les niveaux des prix pratiqués sur les médicaments et réduit considérablement la concurrence entre les industriels ».
Obstacles divers
Pour exercer au sein du marché des médicaments, les professionnels de santé chargés de la production et de la distribution en gros et au détail ont besoin d’obtenir des autorisations d’exercice et d’exploitation. Ce système d’autorisation est, selon le conseil de la concurrence, éparpillé entre différents organismes et constitue ainsi une barrière à l’entrée au marché des médicaments. Autre constat : la protection par le brevet est contraignante pour le marché des médicaments, constituant ainsi une barrière pour l’accessibilité des citoyens au médicament. Le conseil ajoute que l’industrie pharmaceutique nationale dispose d’un potentiel de production important. En chiffres : elle réalise plus de 800 millions de dirhams par an d’investissement, avec la fabrication d’une large gamme de produits (près de 7.394 médicaments). Cette industrie est caractérisée par l’existence de laboratoires nationaux et internationaux qui ont contribué à développer la fabrication locale de médicaments aussi bien de produits innovants que de génériques, pour l’amélioration de l’accès aux soins. Les indicateurs sur le tissu industriel dénotent un recul de l’appareil productif à plusieurs égards, en dépit des politiques volontaristes de l’Etat. Ainsi, la fabrication locale des médicaments ne dépasse guère 60% des besoins du marché alors qu’elle occupait 80% des années auparavant. Par ailleurs, les tendances sont en défaveur de la fabrication locale qui n’enregistre qu’une croissance annuelle moyenne de 6% alors que les importations de médicaments enregistrent pour leur part une croissance de 11%. Aussi la part des exportations stagne à 5% du chiffre d’affaires réalisé avec une dépendance quasi-absolue envers des matières premières provenant de Chine et d’Inde. Cette situation montre que l’industrie pharmaceutique nationale souffre de plusieurs goulots d’étranglement qui entravent son développement, diminuent le niveau de concurrence entre les laboratoires et privent le Maroc d’exploiter pleinement son potentiel pour devenir un leader dans le domaine du médicament (pays pharmering) en Afrique.
Encadré : les raisons de la faible consommation
En parallèle, une faible consommation des médicaments traduit un déficit d’accès. Plusieurs facteurs contribuent à la baisse de la consommation des médicaments par le citoyen marocain. En premier lieu, figure le faible pouvoir d’achat des Marocains. En second lieu, le régime de couverture médicale qui, malgré sa contribution à l’augmentation de la consommation des médicaments depuis son entrée en vigueur en 2006, reste incomplet, vu qu’il ne couvre que près 68,8% de la population nationale. Par ailleurs, « la commande publique des médicaments ne contribue pas non plus de manière optimale au développement de la concurrence entre les laboratoires et ne participe pas suffisamment à l’amélioration de l’accès des citoyens aux médicaments », explique le conseil de la concurrence. Le marché des médicaments ressort globalement comme n’étant pas concentré, vu qu’il est réparti entre l’ensemble des laboratoires et que le premier ne dispose que de près de 11% des parts de marché en valeur.

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