Viandes alternatives … Absentes des rayons et des habitudes

Loin des viandes dominantes, les filières alternatives marocaines peinent à émerger, malgré leurs atouts nutritionnels et écologiques. Faute de données récentes, elles restent invisibles, alors qu’elles pourraient jouer un rôle clé dans la transition alimentaire.

Au-delà du poulet, de la dinde, du bœuf et de l’agneau, figures dominantes des assiettes marocaines, le Royaume recèle une richesse insoupçonnée en viandes dites « alternatives ». Chèvre, lapin, autruche, pigeon, cheval ou encore dromadaire… Ces filières, si elles étaient revalorisées, pourraient offrir des bénéfices significatifs sur les plans nutritionnel, environnemental et socio-économique. Pourtant, le manque criant de statistiques officielles récentes les maintient dans l’ombre, largement sous-documentées et sous-exploitées.
Au Maroc, la consommation et la production de viandes reposent majoritairement sur les filières avicoles et des viandes rouges classiques.

La volaille la principale source de protéines animales
Le secteur avicole est le plus dynamique. La production de viande de volaille (poulet et dinde) a atteint environ 750 000 tonnes en 2021, marquant une croissance régulière. La consommation annuelle par habitant dépasse les 22 kg, faisant de la volaille la principale source de protéines animales pour les Marocains.
La production de viandes rouges (bovines et ovines) a été estimée à environ 660 000 tonnes en 2021. La consommation moyenne de viandes rouges par habitant se situait autour de 16,6 kg en 2021, avec une préférence marquée pour l’agneau et le bœuf, notamment lors des fêtes et événements.

Déficit de données
Cependant, et c’est un point crucial, il est à noter que, selon les acteurs du secteur comme la Fédération Interprofessionnelle du Secteur Avicole (FISA) et d’autres interprofessions des viandes rouges, des statistiques officielles récentes et détaillées ne sont pas systématiquement et publiquement mises à jour. Cette lacune rend l’analyse précise des dynamiques de marché et l’élaboration de stratégies prospectives particulièrement complexes, même pour les filières majeures.
Face à cette prédominance et au déficit de données, les viandes alternatives souffrent d’un manque encore plus prononcé de visibilité statistique.
La viande de chèvre, particulièrement prisée lors de l’Aïd al-Adha, est reconnue pour sa faible teneur en cholestérol, sa maigreur et sa digestibilité. Le chevreau est une excellente source de protéines, de fer, de zinc, de sélénium et de vitamine B12. L’élevage caprin, résilient et peu exigeant, est un moteur économique essentiel dans les zones montagneuses et arides, souvent au bénéfice des femmes rurales. La contribution des caprins à la production nationale annuelle en viande rouge était estimée à environ 23 000 tonnes en moyenne en 2018, avec une consommation combinée de viande de mouton et de chèvre atteignant 6,5 kg par habitant en 2018.

Viande de lapin
Bien qu’encore marginale, la viande de lapin affiche un excellent profil nutritionnel : riche en protéines, pauvre en lipides et en cholestérol, elle apporte également des Oméga-3 et des vitamines B. L’élevage cunicole, fréquemment familial, excelle dans la valorisation des déchets végétaux et produit un engrais naturel. Son empreinte carbone est nettement inférieure à celle des grands élevages. Une étude de 2006 montrait une consommation moyenne de 41,5 lapins par famille et par an pour l’autoconsommation, témoignant d’une présence discrète mais réelle dans les foyers. Aucune statistique officielle récente n’est disponible pour cette filière.

Autruche
Autrefois présente au Maroc dès le Moyen Âge, la viande d’autruche revient timidement sur le marché. En 2010, une seule ferme près de Témara concentrait à elle seule un tiers de la production nationale. Cette viande se distingue par sa grande maigreur (0,2 % de lipides), sa richesse en protéines, fer et zinc, et son apport calorique modeste (à peine 110 kcal pour 100 g). Elle fait partie, avec le dromadaire, le porc et le cheval, des 4 000 tonnes de viandes atypiques consommées annuellement au Maroc selon des données de 2010, soulignant son statut encore de niche. Les données officielles récentes sur la production et la consommation d’autruche sont inexistantes.
Autrefois incontournable dans la gastronomie marocaine médiévale, le pigeon est aujourd’hui presque absent des tables. Pourtant, sa viande offre un apport élevé en protéines et minéraux. Son élevage, peu intensif, peut être durable et peu polluant, avec un bon rendement organique. Faute de données spécifiques récentes et officielles, son potentiel reste malheureusement inexploré dans le paysage statistique actuel.
Bien que culturellement sensible et peu consommée, la viande de cheval présente un intérêt diététique certain. Riche en protéines et en fer, avec un taux modéré de cholestérol, elle constitue une option nutritionnelle à valoriser. Elle figure également parmi les viandes atypiques consommées au Maroc. Aucune statistique officielle récente n’est publiée pour cette viande.

Viande cameline
Véritable pilier économique et culturel dans le sud du pays, notamment à Guelmim et Sidi Ifni, la viande cameline reste paradoxalement peu connue ailleurs au Maroc. Très riche en eau (78 %), faible en lipides (13 %) et forte en protéines (20 à 23 %), elle représente une alternative saine aux viandes rouges classiques. Elle contient également du glycogène, de la vitamine A, peu de cholestérol et un excellent profil lipidique. Abattue jeune (entre 1 et 3 ans), sa tendreté est comparable à celle du bœuf.

Les dernières données disponibles pour cette filière emblématique remontent à 2019, le Maroc comptait alors 183 000 têtes de dromadaires, avec 3 598 tonnes de viande produites, générant 225 millions de dirhams de valeur ajoutée et près de 2,7 millions de journées de travail. La consommation par habitant était, quant à elle, inférieure à 0,1 kg en 2018. Malheureusement, depuis 2019, aucune donnée officielle n’a été publiée, illustrant un désintérêt institutionnel envers cette filière pourtant si prometteuse.

Le constat est clair, malgré leurs atouts indéniables, ces filières de viandes alternatives souffrent d’un déficit criant de documentation statistique récente et officielle. Les données disponibles sont souvent fragmentées ou datées, rendant difficile toute analyse approfondie et l’élaboration de politiques de développement ciblées.

Manque de transparence
Ce manque de transparence statistique est d’autant plus préoccupant qu’il touche aussi, dans une moindre mesure, les filières conventionnelles pour lesquelles les données les plus récentes ne sont pas toujours rendues publiques par les canaux officiels.
À l’heure où les enjeux de durabilité, de souveraineté alimentaire et de nutrition sont plus pressants que jamais, il est impératif que le Maroc reconnaisse et valorise ces ressources. Une stratégie claire de développement, appuyée par des statistiques fiables et actualisées, est essentielle pour révéler le plein potentiel de ces viandes «oubliées» et les intégrer pleinement dans l’économie et la gastronomie nationales.

 

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