Indemnité pour perte d’emploi : un coût qui explose, une réforme toujours dans l’attente

Plus de deux milliards de dirhams dépensés en cinq ans, un nombre croissant de bénéficiaires et une réforme promise mais encore en suspens. Onze ans après sa création, l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE) peine à remplir pleinement son rôle de filet social pour les salariés du secteur privé.

Lancée en 2014 par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), l’IPE devait permettre aux travailleurs licenciés de bénéficier d’un soutien temporaire, le temps de retrouver un emploi. Mais le dispositif, pourtant vital dans un contexte de précarisation croissante, montre aujourd’hui ses limites.

Une facture de plus en plus lourde

Depuis 2020, la CNSS a déboursé plus de 2 milliards de dirhams au titre de l’IPE. Les chiffres arrêtés au 1er octobre 2025 font état d’un cumul de 2,085 milliards de dirhams en cinq ans et demi. Rien qu’en 2024, la dépense annuelle a atteint 434 millions de dirhams, contre 362 millions en 2020. Et la tendance se poursuit : sur le seul premier semestre 2025, 174,6 millions de dirhams ont déjà été versés.

Cette montée en charge est alimentée par une hausse continue du nombre de bénéficiaires, passé de 22.000 en 2021 à près de 27.500 en 2024. Sur les six premiers mois de 2025, ils sont déjà 13.645 à avoir sollicité l’indemnité, un chiffre qui devrait dépasser celui de l’an dernier d’ici décembre.

Des emplois plus courts, des salariés plus fragiles

Autre évolution notable : l’ancienneté moyenne des nouveaux bénéficiaires chute. Elle est passée de 5,6 ans entre 2020 et 2024 à 4,4 ans sur le premier semestre 2025. Un signe inquiétant de la fragilité croissante du marché du travail, où les licenciements touchent désormais davantage les salariés jeunes ou occupant des postes instables.

Dans le même temps, le montant moyen mensuel de l’indemnité a progressé de 2.543 dirhams en 2020 à 2.889 dirhams en 2025, soit une hausse de 13,6 %. Une évolution logique mais qui accentue encore la pression sur les finances du régime.

Un dispositif indispensable mais limité

L’IPE reste aujourd’hui l’un des rares mécanismes de protection sociale pour les salariés du privé ayant perdu leur emploi de manière involontaire. Pour en bénéficier, il faut avoir cumulé 780 jours de cotisations dans les trois années précédant la perte d’emploi, dont 260 jours sur les douze derniers mois. L’indemnité, équivalente à 70 % du salaire de référence, est versée pendant six mois maximum, dans la limite du SMIG.

Mais ces conditions, jugées trop strictes, écartent une grande partie des travailleurs, notamment ceux du secteur informel ou des emplois précaires. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme dès 2021, pointant trois faiblesses majeures :

Une réforme promise mais encore repoussée

La loi-cadre sur la protection sociale, adoptée en 2021, prévoyait la refonte du dispositif dès 2025. L’objectif : élargir la couverture, assouplir les conditions d’accès et sécuriser les financements. Le CESE recommandait même la mise en place d’un système à deux régimes : l’un assurantiel, couvrant salariés et non-salariés, et l’autre d’assistance pour les plus vulnérables, adossé à un dispositif d’aide au retour à l’emploi.

Pourtant, à quelques mois de l’échéance annoncée, la réforme reste au point mort. Aucune mesure concrète n’a encore été engagée.

Soutenabilité en question

La montée en flèche des dépenses et l’élargissement prévisible du nombre de bénéficiaires posent désormais la question de la viabilité financière du régime à moyen terme. Sans refonte, le système risque de se transformer en simple mécanisme de survie, incapable d’accompagner efficacement la reconversion des travailleurs licenciés.

Les pouvoirs publics sont donc confrontés à un double défi : préserver la capacité de l’IPE à jouer son rôle social, tout en favorisant la création d’emplois stables pour en limiter le recours.

En attendant la réforme promise, l’IPE continue de remplir sa mission — mais à crédit, dans un marché du travail qui s’effrite.

Avec Le360

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