Site icon Consonews – Premier site consommation au Maroc

cérélaes, huiles, viandes… le maroc sous dépendance extérieure!

Ble tendre 600x300 - cérélaes, huiles, viandes... le maroc sous dépendance extérieure!Ble tendre 600x300 - cérélaes, huiles, viandes... le maroc sous dépendance extérieure!

par DalaL Saddiqui

Longtemps présenté comme une puissance agricole exportatrice, le Maroc découvre aujourd’hui les limites d’un modèle qui peine à nourrir sa propre population. Ses terres fertiles, ses plaines riches et la diversité de ses cultures laissent croire à une autosuffisance alimentaire solide. Pourtant, derrière cette image rassurante, le pays dépend de plus en plus des importations pour remplir les assiettes des Marocains et cela lui coûte cher à différents niveaux.

Le rapport 2025 sur la Sécurité alimentaire au Maroc, publié par le Moroccan Institute for Policy Analysis (MIPA) dresse un constat sans équivoque: le Maroc ne produit localement que 28 % des céréales qu’il consomme, 27% de ses huiles et moins de 20% de son sucre. Ces trois produits représentent pourtant près de 80% des calories consommées quotidiennement par les consommateurs marocains. Résultat: en 2024, l’État a consacré 4,38 milliards de dirhams (MMDH) pour subventionner le sucre et 1,34 MMDH pour le blé tendre.
Or cette dépendance aux importations dépasse le simple enjeu économique. Elle bouleverse les équilibres financiers et les politiques publiques du Royaume, ainsi que les habitudes alimentaires de ses habitants. En quelques décennies, la consommation moyenne des Marocains est passée de 2.400 à 3.100 kilocalories par jour, reflet d’une alimentation plus calorique mais aussi et surtout plus déséquilibrée.
Paradoxalement, alors que le pays exporte massivement des légumes (tomates, poivrons, courgettes…) et des fruits (agrumes, baies et huile d’olive), il importe l’essentiel de ses produits de base. Le Maroc se retrouve ainsi face à une question centrale: comment un pays exportateur de fruits et légumes peut-il être si dépendant pour son pain, son sucre et son huile végétale?

Volumes et enjeux de la dépendance alimentaire
Les chiffres révèlent l’ampleur de cette dépendance alimentaire du Maroc vis-à-vis du monde. En 2022, le Maroc a importé 5,2 millions de tonnes de blé tendre et 1 million de tonnes de blé dur. Et en 2023, les volumes sont restés élevés avec 4,6 millions et 0,9 million de tonnes respectivement. Ces achats colossaux ont fait des céréales la première composante des importations alimentaires, représentant plus de 42,5 % de leur valeur totale. D’autant que, entre 2020 et 2022, dû à la guerre en Ukraine et à l’inflation mondiale, le prix du blé tendre et du maïs à l’importation a grimpé en moyenne de 41%, passant de 2.400 et 1.917 DH la tonne à 4.311 et 3.694 DH.
Le maïs, indispensable à l’alimentation du bétail, illustre aussi parfaitement cette dépendance alimentaire structurelle: les importations ont atteint 3,01 millions de tonnes en 2020 et 2,82 millions en 2023. L’orge, elle aussi utilisée comme fourrage, a bondi à 1,1 million de tonnes en 2023, pour un coût de 2,85 MMDH. Quant aux tourteaux protéinés issus du soja ou du tournesol, ils sont passés de 1,6 à 2,3 millions de tonnes entre 2022 et 2023.
Ces chiffres ne traduisent pas seulement un déséquilibre commercial. Ils révèlent les effets durables de la sécheresse et la fragilité du modèle agricole. Les pénuries d’eau ont affaibli la production animale et entraîné une perte d’autosuffisance en viande rouge et en produits laitiers, au point que les sacrifices de l’Aïd el-Adha ont dû être suspendus en 2025, un symbole fort de la crise.
La situation n’est guère meilleure pour les huiles comestibles: les importations d’huile de soja ont atteint un record de 8,1 MMDH en 2022 avant de redescendre à 6,1 MMDH en 2023. Le Maroc ne couvre localement qu’à peine un quart de ses besoins. Le sucre, lui, reste subventionné à prix fort, tandis que les produits alimentaires importés continuent d’alimenter la consommation quotidienne.

Les nombreux coûts de la dépendance
Cette dépendance fragilise à la fois l’économie nationale et le pouvoir d’achat des ménages. L’État dépense des milliards pour maintenir artificiellement des prix stables, tandis que la population reste exposée aux fluctuations du marché mondial. La hausse du prix du blé ou du pétrole peut, du jour au lendemain, se répercuter sur le coût du pain, de la farine ou de l’huile.
Les effets se ressentent aussi sur la santé publique. Le rapport du MIPA montre que la transition alimentaire du pays s’est faite au détriment de l’équilibre nutritionnel. En 2022, plus de 60% des Marocains étaient en surpoids et 21 % obèses, alors que ces problèmes étaient rares dans les années 1970. La consommation de sucre par habitant est passée de 35 à 48 kg entre 2001 et 2022, soit quatre fois la dose recommandée.
Le Maroc fait face à un double fardeau: un excès de calories vides, issues du pain et du sucre subventionnés, et des carences persistantes en micronutriments essentiels comme le fer, l’iode ou la vitamine A. Ces déséquilibres nutritionnels entraînent une hausse des maladies non infectieuses, comme le diabète, les cancers et même l’obésité, et menacent à terme la santé publique.

Un coût écologique considérable
Cette dépendance alimentaire n’est pas le résultat du hasard. Elle s’explique d’abord par un choix économique: le Maroc a privilégié les cultures à forte valeur ajoutée destinées à l’exportation (fruits et légumes), au détriment des cultures vivrières comme les céréales ou les légumineuses. Or ce modèle agro-exportateur, rentable à court terme, mobilise l’eau, les terres et la main-d’œuvre au profit des marchés étrangers. Le Maroc exporte chaque année 1,5 milliard de mètres cubes d’eau virtuelle à travers ses fruits et légumes. L’eau, déjà rare, devient ainsi un bien stratégique épuisé par la logique d’exportation.
Le coût énergétique de ce modèle est également élevé. Les subventions au gaz butane pour le pompage de l’eau atteignent 7,5 MMDH. Or si le solaire réduit partiellement cette dépendance, il crée une nouvelle vulnérabilité: les panneaux, pompes et technologies nécessaires sont tous importés.
Le changement climatique renforce encore plus ces fragilités. Les années de sécheresse prolongée entre 2019 et 2025 ont sévèrement réduit les rendements. L’agriculture marocaine, dépendante de l’irrigation, se heurte désormais à la raréfaction de l’eau et à l’épuisement des nappes phréatiques. Le pays compense par des importations massives de céréales et de légumineuses, une forme d’«eau virtuelle» qui permet de pallier temporairement la pénurie, sans en résoudre les causes.
À cela s’ajoute une dépendance persistante aux engrais, pesticides, semences hybrides et matériel agricole venus de l’étranger. Le Maroc exporte ses phosphates mais importe l’essentiel de ses engrais azotés. Une contradiction de plus dans un modèle agricole qui s’épuise.
Parallèlement à tout celà, les infrastructures sont encore insuffisantes pour stocker, transformer et distribuer les produits locaux. Les pertes post-récolte demeurent importantes et les filières peu structurées, tandis que la demande urbaine, dopée par l’évolution démographique, dépasse largement la capacité de production intérieure.

Une facture alimentaire salée
La facture alimentaire pèse lourd sur les finances publiques. En 2023, le déficit de la balance commerciale agroalimentaire (hors produits de la mer) atteignait 3,8 milliards de dollars, avec 8,9 milliards d’importations contre seulement 5,1 milliards d’exportations. Cette dépendance chronique épuise les devises et rend le pays vulnérable aux crises extérieures.
Les subventions destinées à maintenir des prix accessibles représentent une charge colossale. Or si elles protègent temporairement les consommateurs, elles limitent les marges de manœuvre budgétaires et découragent les producteurs locaux, qui ne peuvent rivaliser avec des produits importés massivement soutenus par l’État.
De plus, le modèle agro-exportateur, censé générer des excédents, ne parvient plus à compenser ces coûts. Les revenus tirés des exportations de fruits et légumes ne suffisent pas à couvrir les sorties massives de devises pour importer blé, huile, sucre ou aliments pour bétail. Cette équation fragilise tout l’équilibre alimentaire et économique du pays.

Quitter la version mobile