Avec un chiffre d’affaires cumulé dépassant les 40,9 milliards de dirhams en 2024, le secteur de la grande distribution alimentaire au Maroc poursuit une croissance robuste, soutenue par l’urbanisation rapide, l’évolution des modes de vie et l’essor des classes moyennes. Six acteurs majeurs se partagent aujourd’hui ce marché en pleine transformation, à la croisée des chemins entre tradition et modernité.
Une expansion portée par des mutations sociétales profondes
Le Conseil de la concurrence, dans un avis détaillé publié récemment, dresse un état des lieux du secteur qui illustre clairement son importance croissante dans l’économie nationale. L’urbanisation galopante, avec un taux passé de 60,3 % en 2014 à 62,8 % en 2024, accompagne une transition accélérée des modes de consommation. Plus de mobilité, une population plus jeune, plus connectée, plus sensibilisée aux standards internationaux de qualité et d’hygiène : autant de facteurs qui propulsent la grande distribution sur le devant de la scène.
Le changement s’opère également dans les mentalités : le modèle traditionnel du souk ou de l’épicier de quartier reste présent, mais il coexiste désormais avec celui des grandes surfaces modernes, organisées, standardisées et intégrées dans des logiques industrielles.
Des enseignes puissantes aux stratégies différenciées
Marjane, acteur historique du secteur, illustre bien cette montée en puissance. Fort de 150 points de vente répartis entre hypermarchés, supermarchés et supérettes de proximité, le groupe développe une approche omnicanale, comme en témoigne le lancement de la plateforme digitale « Marjane Mall ». Cette volonté d’innovation traduit une adaptation aux nouvelles attentes des consommateurs, friands de commodité et d’achats en ligne.
Label’Vie, autre mastodonte du secteur, mise sur le multiformat, à travers des enseignes aussi diverses que Carrefour, Supeco, Carrefour Gourmet ou encore Atacadao. Sa présence en Bourse depuis 2008 témoigne d’une volonté de transparence et d’investissement à long terme, avec 251 points de vente totalisant près de 270.000 m² de surface commerciale. Le groupe adopte une logique de couverture étendue et segmentée, qui cible aussi bien les ménages à haut revenu que les consommateurs à la recherche de prix cassés.
Aswak Assalam, bras armé du groupe Ynna Holding, poursuit de son côté un développement plus mesuré mais significatif. Présent dans les principales villes du Royaume, son réseau de 15 hypermarchés couvre environ 53.500 m², avec une politique de fidélisation appuyée sur la proximité et la relation client.
BIM et Kazyon : la montée en force du hard discount
Deux enseignes font figure de fers de lance d’un modèle importé et adapté : celui du hard discount, fondé sur des prix très bas, une offre limitée mais essentielle, et une forte capillarité géographique.
BIM Maroc, filiale de la société turque éponyme, est sans doute le leader incontesté dans ce registre. Avec près de 789 magasins en 2024, soit près de 220 ouvertures en trois ans, l’enseigne a su implanter un modèle fondé sur la simplicité, la réactivité logistique et une couverture massive des quartiers populaires et des zones périurbaines. Cette présence étendue en fait un acteur incontournable pour des millions de Marocains à faible et moyen revenu.
Kazyon Maroc, nouveau venu issu d’une société britannique très implantée en Égypte, adopte une stratégie similaire. En à peine plus d’un an d’existence, la marque a ouvert environ 150 points de vente, avec un développement particulièrement dense sur l’axe Rabat-Casablanca. Son concept : de petites unités de vente (150 à 300 m²), des prix serrés, un approvisionnement resserré, et une proximité maximale avec les bassins de population.
Une concurrence encore inégale, un potentiel à structurer
Malgré ces avancées, le Conseil de la concurrence rappelle que le marché de la grande distribution demeure largement dominé par le commerce traditionnel, qui capte encore la majorité des ventes, notamment pour les produits frais. Les bouchers, primeurs, poissonniers et autres commerçants de quartier bénéficient d’une fidélité historique et d’une flexibilité opérationnelle difficile à concurrencer.
Mais cette dualité crée également des effets de distorsion. Par exemple, dans le commerce de détail, certaines marques appliquent un prix unique sur différentes qualités de produit (comme pour le beurre ou les pâtes), au mépris de la transparence tarifaire. Ce manque de régulation nuit à la fluidité du marché et accentue les écarts de pouvoir d’achat.
Quelles perspectives d’avenir pour le secteur ?
Le développement du secteur passe désormais par la professionnalisation accrue des circuits, l’adoption généralisée de solutions logistiques modernes, l’intégration du numérique (e-commerce, data client, outils CRM) et l’élargissement de l’offre à des produits locaux, bios ou artisanaux.
Par ailleurs, les autorités devront veiller à encadrer le marché, notamment en matière de transparence des prix, d’équité entre acteurs, et de promotion des circuits courts. Car si la grande distribution peut jouer un rôle crucial dans la maîtrise des prix et la sécurité alimentaire, elle doit aussi respecter les équilibres socio-économiques en place.
Le Maroc dispose encore d’un fort potentiel de croissance sur ce marché, notamment dans les villes moyennes et les zones rurales en transformation. À condition que les modèles économiques s’adaptent à la diversité des besoins, tout en intégrant les impératifs de durabilité, de digitalisation et de souveraineté alimentaire.
Avec Le360