Dans cet entretien, Lamia Benmakhlouf, directrice générale du Technopark Morocco, revient sur la stratégie d’essaimage régional, les efforts pour ancrer l’entrepreneuriat chez les jeunes, et les leviers activés pour transformer les talents marocains en moteurs de développement local et global.
Mme Benmakhouf, vous êtes à la tête du Technopark Morocco. Pourriez-vous nous rappeler la vocation de cette structure ?
Lamia Benmakhlouf : Le Technopark est un catalyseur de l’entrepreneuriat technologique au Maroc. Depuis 2001, notre mission est claire : accompagner les startups innovantes dans leur développement, de la phase d’idéation jusqu’à leur croissance à l’international. Nous offrons un environnement dynamique, des services d’accompagnement personnalisés, et surtout une communauté entrepreneuriale propice au partage et à la créativité.
Le Technopark est désormais présent dans plusieurs villes. Quelle est votre logique d’expansion territoriale ?
Cette expansion est stratégique. Nous avons déjà ouvert cinq Technoparks à Casablanca, Rabat, Tanger, Agadir et Essaouira. À cela s’ajoute la gestion de la Cité de l’Innovation d’Agadir, ce qui porte à six le nombre de sites opérationnels. Trois nouveaux projets sont en cours à Fès, Oujda et Tiznit. Notre ambition est claire : créer de véritables pôles régionaux d’innovation pour offrir aux jeunes talents des opportunités là où ils se trouvent. Ces implantations permettent de lutter contre la centralisation et de garantir aux startups régionales le même niveau d’accompagnement et d’opportunités qu’à Casablanca.
Justement, quel est l’impact du Technopark sur l’emploi des jeunes ?
L’impact est très concret. Depuis notre création, nous avons accompagné plus de 3 000 startups technologiques. En moyenne, une startup génère entre 3 et 5 emplois à sa création. Après trois ans, ce chiffre peut atteindre une dizaine de salariés qualifiés, et parfois le tripler au bout de cinq ans. Ce rythme de croissance contribue à l’émergence d’un tissu économique dynamique, fondé sur l’innovation. C’est un levier essentiel pour absorber les vagues annuelles de jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail.
Comment le Technopark peut-il contribuer à la lutte contre le chômage, notamment celui des jeunes diplômés ?
Effectivement, le chômage des jeunes est un défi majeur. Au Technopark, nous agissons sur un levier essentiel : l’entrepreneuriat. Nous menons de nombreuses actions de sensibilisation au sein des universités pour encourager les étudiants à s’orienter vers cette voie. L’idée selon laquelle il faut attendre un emploi dans le secteur public ou viser uniquement le salariat est aujourd’hui dépassée.
Nous organisons régulièrement, deux fois par mois, des visites d’immersion dans tous les Technoparks pour connecter les étudiants à l’écosystème entrepreneurial. Nous œuvrons aussi à vulgariser un dispositif encore peu connu : le statut de l’étudiant-entrepreneur, qui permet aux jeunes de lancer un projet tout en poursuivant leurs études. Certaines universités, comme Hassan II à Casablanca, font un travail remarquable à ce niveau, avec la mise en place d’incubateurs internes. Elles encouragent les étudiants à transformer leur projet de fin d’études en véritable startup.
Quel rôle joue alors le Technopark dans cette dynamique ?
Le Technopark agit comme un tremplin : nous accueillons ces étudiants-entrepreneurs issus des universités et les accompagnons dans la création de leurs entreprises. Ces startups sont ensuite à même de générer des emplois qualifiés. Bien sûr, je ne prétends pas que le Technopark résoudra à lui seul la problématique du chômage. Mais notre rôle est d’intervenir en amont, en semant l’esprit entrepreneurial dès le plus jeune âge.
Vous parlez d’une acculturation précoce. Cela signifie que l’esprit d’entreprendre doit s’enseigner à l’école ?
Exactement. L’entrepreneuriat, ça s’apprend tôt, dès l’école primaire même. D’autres systèmes éducatifs à l’étranger l’ont expérimenté avec succès. Il est crucial d’introduire des programmes simples mais efficaces pour inculquer aux enfants les bases de l’innovation, de la prise d’initiative, de la résilience. Aujourd’hui encore, beaucoup de jeunes obtiennent leur diplôme sans avoir été préparés à créer leur propre voie, ni à affronter les risques de l’entrepreneuriat.
Le défi de la fuite des cerveaux reste cependant préoccupant. Comment le Technopark y répond-il ?
En créant de l’attractivité locale. Si un jeune développeur ou ingénieur trouve un cadre de travail stimulant, des opportunités d’évolution et un réseau professionnel dynamique dans sa région, il aura moins de raisons de partir. Nous travaillons aussi avec les Marocains du monde pour encourager des retours, des transferts de compétences ou même des partenariats transnationaux. Il faut transformer la fuite des cerveaux en circulation vertueuse des talents.
Quels sont les leviers principaux d’accompagnement que vous proposez aux startups ?
D’abord, l’hébergement à des prix très compétitifs dans des espaces collaboratifs. Ensuite, des programmes d’accompagnement sur-mesure : mentorat, formations, networking, mise en relation avec les investisseurs, participation à des salons internationaux. Nous avons aussi des partenariats avec les banques, les bailleurs de fonds et les institutions publiques. Le tout forme un écosystème intégré et solidaire.
Avez-vous un message pour les jeunes porteurs de projets ?
Oui. Croyez en vos idées, mais entourez-vous. L’entrepreneuriat est un parcours difficile, mais il n’a jamais été aussi accessible. Le Technopark est là pour vous accompagner. Venez nous voir. Nous avons besoin de votre énergie, de votre créativité, et vous avez besoin d’un cadre pour vous développer. L’avenir du pays repose sur votre audace.