Couches écologiques : quand les marques se livrent une guerre judiciaire

Dans les rayons puériculture, les paquets de couches aux promesses vertes se multiplient : « zéro allergène », « sans perturbateurs endocriniens », « d’origine naturelle ». Les marques dites « écologiques » rivalisent d’engagements rassurants à destination de jeunes parents soucieux de la santé de leur bébé… et de l’environnement. Mais derrière ce marketing vertueux, la réalité est plus conflictuelle qu’il n’y paraît.

Depuis plusieurs années, le segment des couches écologiques connaît une croissance soutenue, représentant aujourd’hui près d’un quart du marché, selon Xerfi. Une dynamique nourrie par des scandales sanitaires – notamment la présence de résidus chimiques révélée par 60 Millions de consommateurs en 2017, puis confirmée par l’Anses en 2019. Polluants, dioxines et autres substances problématiques ont depuis éveillé une méfiance durable chez de nombreux parents.

Face à ces inquiétudes, de jeunes marques comme Love & Green, Joone, Les Petits Culottés ou encore Tidoo ont bâti leur réputation sur deux piliers : la transparence des ingrédients et une démarche « naturelle ». Mais alors que ces marques prétendent redéfinir les standards du secteur, certaines ont franchi la ligne rouge… selon leurs propres concurrentes.

Bataille judiciaire entre marques vertes

C’est un paradoxe étonnant : les accusations de greenwashing ne viennent pas d’associations de consommateurs ou d’agences de contrôle, mais des marques elles-mêmes, engagées dans une guerre juridique à coups de procès pour publicité trompeuse. Love & Green et Joone, les deux principales rivales du secteur, se poursuivent mutuellement devant les tribunaux, s’accusant de fausses promesses et de formulations abusives.

Le 4 juin dernier, le tribunal de commerce de Nanterre a condamné Love & Green à retirer de ses emballages les mentions « aucun perturbateur endocrinien » et « 0 % allergènes », jugées scientifiquement invérifiables. L’argument : il n’existe ni liste exhaustive des perturbateurs endocriniens, ni certitude sur les substances potentiellement allergènes. Joone, à l’origine de la plainte, s’appuyait sur la position de la Répression des fraudes pour faire valoir l’inexactitude de ces slogans.

De son côté, Love & Green n’en est pas à son premier recours. Ces dernières années, elle a multiplié les attaques contre ses concurrents, obtenant par exemple la condamnation de Joone pour avoir utilisé l’expression « garanti 0 % produits nocifs ». En avril 2024, la cour d’appel de Paris a même interdit à Joone d’utiliser la formule « Créateur de transparence », estimant que la promesse n’était pas étayée par des éléments concrets.

Promesses écologiques sous surveillance

Au-delà des formulations ambiguës, la guerre des couches écolos touche aussi les revendications d’origine et de fabrication. Joone, par exemple, a été épinglée pour avoir utilisé l’expression « fabriqué en France » sur un paquet dont le modèle spécifique venait… du Danemark. La marque assume et rappelle qu’elle communique publiquement sur ce point, vidéo à l’appui. Elle dénonce à son tour le drapeau tricolore affiché sur les paquets de Love & Green, alors même que certaines couches sont produites en République tchèque ou en Espagne. En défense, cette dernière argue que le drapeau accompagne la mention « PME familiale française » et que le pays de fabrication figure clairement sur l’emballage — en petits caractères.

La marque Biolane est elle aussi dans la ligne de mire. Son emballage affiche un « 100 % de matière d’origine naturelle », sans préciser que cette promesse ne s’applique qu’aux seules zones en contact avec la peau du bébé — soit 5 % de la couche, selon Love & Green, qui a porté l’affaire devant le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon. La procédure est en cours.

Une course au vert pas toujours sincère

Pour les parents, ces querelles judiciaires soulèvent une réalité désagréable : même les marques se présentant comme exemplaires se livrent à des pratiques marketing contestables. Si ces nouveaux acteurs ont contribué à améliorer la composition des couches (en éliminant parfums, lotions et certains composants issus de la pétrochimie), le 100 % naturel reste une illusion.

Carole Juge-Llewellyn, fondatrice de Joone, le reconnaît : « Atteindre 100 % de matières naturelles est impossible, ne serait-ce qu’en raison de la présence d’élastiques et de bandes adhésives qui nécessitent des matériaux synthétiques ». Même les couches les plus vertueuses ne dépassent pas 75 % de matières naturelles, grâce à l’usage de cellulose et d’ingrédients issus du maïs ou de la canne à sucre.

Le géant Pampers, discret sur l’écologie

Dans ce contexte, l’attentisme du leader du marché, Pampers (Procter & Gamble), interpelle. Après avoir lancé sa gamme « Harmonie » en 2018, la marque semble aujourd’hui faire marche arrière. Les références à l’utilisation de matières d’origine naturelle ont récemment disparu de ses paquets, sans explication publique. Contactée, l’entreprise assure être en phase de « réévaluation » de sa stratégie sur l’utilisation de matériaux biosourcés. En 2023, Pampers avait d’ailleurs été sanctionnée par le Jury de déontologie publicitaire pour un spot jugé trompeur, suite à une plainte… de Love & Green.

Des repères pour les parents

Dans cette confusion, certains labels offrent une relative fiabilité. L’Écolabel européen et le label scandinave Nordic Swan sont les plus crédibles : leur attribution repose sur des cahiers des charges stricts et des contrôles indépendants. Plusieurs marques écologiques les arborent.

Mais là encore, prudence : même labellisées, les couches dites écologiques peuvent contenir des résidus indésirables. En 2019, l’Anses rappelait que des substances préoccupantes avaient été détectées aussi bien dans les couches classiques que dans certaines références écologiques.

Enfin, il ne faut pas oublier l’impact environnemental inhérent à tout produit jetable. Un enfant utilise en moyenne 4 000 couches jusqu’à sa propreté. Même en version « verte », cela représente une quantité colossale de déchets. D’où l’importance, pour les parents, de croiser les sources, de lire les étiquettes… et parfois d’envisager des alternatives réutilisables.

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