Rendu public le 19 septembre 2025, le « Rapport de l’Enquête nationale sur les assurances au Maroc », réalisé par la Fédération Nationale des Associations des Consommateurs (FNAC) en collaboration avec le Ministère de l’Industrie et du Commerce, dresse un tableau alarmant de la relation qu’entretiennent les Marocains avec le monde de l’assurance. L’insatisfaction et la méfiance sont de mise.
La principale motivation du Rapport de l’Enquête nationale de la FNAC est d’offrir une compréhension claire et approfondie du marché actuel des assurances, incluant la perception des produits, la satisfaction des services et les attentes des clients dans un contexte où les incertitudes économiques, les risques environnementaux et les besoins de protection sociale sont croissants. Tout cela dans un environnement en constante mutation où l’innovation digitale prend de plus en plus d’importance.
Et à première vue, les chiffres avancés par lerapport paraissent encourageants : 70% des 4.000 personnes interrogées lors de cette enquête déclarent être couvertes par une ou plusieurs assurances, contre seulement 30 % qui ne sont pas assurés.
Une couverture en trompe-l’œil
Mais cette avancée du secteur est à relativiser car le fait qu’un tiers de la population marocaine ne soit pas assurée est préoccupant. Le rapport note que « Ce chiffre peut être lié à un manque de moyens financiers, une méconnaissance ou une défiance envers les assurances, ou encore une inaccessibilité géographique ou numérique, notamment dans les zones rurales ».
Derrière la forte pénétration des produits d’assurances se cache donc une réalité contrastée. Les assurés sont majoritairement urbains, actifs, relativement instruits et mieux connectés aux services financiers. Dans les zones rurales, par contre, l’assurance reste encore perçue comme un produit inaccessible, réservé à une élite ou imposé par les banques.
Une obligation plus qu’une prévoyance
Et tout comme pour les résultats contrastés en termes de population, les résultats du rapport révèlent des produits d’assurance à deux vitesses. D’un côté, une forte demande des produits d’assurance obligatoires, comme l’assurance automobile, et de l’autre une faible adhésion aux assurances de prévoyance ou patrimoniales.
Le rapport de la FNAC fait ressortir que parmi les 2.800 personnes ayant déclaré être assurées :
60% ont souscrit une assurance automobile : C’est sans surprise qu’elle arrive en tête, portée par son caractère obligatoire. Elle constitue donc une porte d’entrée majeure vers l’univers assurantiel, notamment dans les milieux urbains.
50% ont souscrit des assurances santé / mutuelles : C’est une progression encourageante dans un pays où les dépenses médicales imprévues peuvent mettre à mal un foyer entier. Cependant, le rapport note que ce taux reste perfectible et peut traduire une couverture incomplète ou inégalement répartie selon les catégories sociales.
40% ont souscrit une assurance habitation : Assez répandue mais encore loin d’être généralisée, l’assurance habitation est surtout présente chez les personnes propriétaires ou disposant d’un patrimoine matériel à protéger.
30% ont souscrit une assurance vie : Ce taux modéré montre un intérêt croissant pour la prévoyance à long terme, bien que ce type de contrat reste encore sous-utilisé par rapport à d’autres pays.
Les assurances scolaires (20 %) et voyages (15 %) : plutôt marginales, ces souscriptions d’assurance sont souvent liées à des contextes précis (enfants scolarisés en écoles privées, voyages à l’étranger). Elles sont donc souscrites par une population mobile et souvent plus aisée.
Une contrainte plus qu’une conviction
Lorsqu’on demande aux Marocains pourquoi ils souscrivent à une ou plusieurs assurances afin de connaitre leurs motivations, la réponse est sans appel : ils s’assurent plus par contrainte que par conviction.
Obligation légale (40 %) : La contrainte légale apparaît comme la première motivation. Cela concerne en particulier l’assurance automobile, obligatoire au Maroc, mais cela peut aussi s’étendre à certaines assurances professionnelles ou de prêt. Cette tendance souligne une adhésion souvent contrainte, plutôt que volontaire ou basée sur une réelle compréhension des bénéfices.
Protection contre les risques (35 %) : Une part importante des répondants souscrivent à une assurance pour se prémunir des risques liés à la santé, aux accidents ou aux catastrophes naturelles. Cela traduit une prise de conscience croissante des incertitudes de la vie, bien qu’encore insuffisante pour généraliser cette logique à toute la population.
Sécurité financière pour la famille (15 %) : Cette motivation reste minoritaire mais significative. Elle reflète une vision plus prévoyante et altruiste de l’assurance, centrée sur la protection des proches en cas d’imprévu. Recommandation d’un conseiller/ami (5 % ) et Autres (5 %) : :Ces réponses révèlent l’importance limitée des recommandations interpersonnelles ou d’autres facteurs non spécifiés. Cela peut traduire un manque de proximité entre les assureurs et leurs potentiels clients, ou une faible culture de conseil en assurance.
Insatisfaction et incompréhension
La satisfaction client ? C’est là que le bât blesse. Si 70% des personnes interrogées sont assurées, leur satisfaction reste dramatiquement faible. 65% estiment ne pas recevoir d’informations claires sur leur couverture. 50% trouvent leur contrat difficile à comprendre. Et 55% jugent la gestion des réclamations insatisfaisante.
A la question « quel est le degré de satisfaction globale vis-à-vis de votre assureur principal ? », sur une échelle de très insatisfait à très satisfait, les réponses sont les suivantes :
Très insatisfait (40%) et Peu satisfait (25%) : les mauvaises appréciations rassemblent 65% des réponses. Cela traduit un niveau de mécontentement très élevé, révélateur de nombreuses insatisfactions : mauvaise qualité de service, difficultés de remboursement, manque de clarté des garanties ou mauvaise communication. Ces chiffres doivent alerter les compagnies sur la nécessité d’un effort massif de reconquête de la confiance.
Ni satisfait, ni insatisfait (20%) : Une part non négligeable des assurés se positionne au milieu de l’échelle, reflétant une satisfaction modérée. Ce sont des clients potentiellement volatils, susceptibles de changer d’assureur à la première déception ou à la moindre offre plus avantageuse.
Satisfaits (10%) et Très satisfaits (5%) : Au total, seulement 15% des répondants expriment une satisfaction réelle.
De même, au niveau de la gestion des réclamations, Les appréciations Très insatisfait (25%) et Peu satisfait (30%) démontrent que plus de la moitié des répondants attribuent une note très faible à la gestion des réclamations. Cela reflète un niveau de mécontentement élevé, souvent lié à des retards, un manque de clarté, une absence de suivi ou un sentiment d’injustice dans le traitement des dossiers.
Ces mauvaises appréciations montrent un déficit général dans l’expérience client et la valeur perçue du service assurantiel. Et les retours sont tout aussi négatifs concernant la compréhension des termes contractuels, ce qui révèle un enjeu central dans la relation entre les compagnies d’assurance et leurs clients. 80%, soit la très grande majorité des répondants déclarent ne pas comprendre les clauses de leur contrat. Cela met en évidence un grave déficit de lisibilité, de pédagogie et de communication de la part des compagnies d’assurance. Ce manque de compréhension peut générer de la méfiance, un sentiment d’injustice au moment des sinistres, et à terme, une perte de fidélité des assurés.
Les principaux motifs avancés par les personnes ayant déclaré ne pas comprendre leur contrat d’assurance sont,
Le style difficile à comprendre (50%) : La moitié des répondants jugent le style rédactionnel trop complexe. Cela peut inclure un vocabulaire technique, des phrases longues, ou un manque d’explication claire. Cela renforce l’idée d’un besoin urgent de simplification et de vulgarisation des documents contractuels.
Le contrat non rédigé en arabe (45%) : L’absence de version en langue arabe représente un obstacle majeur à la compréhension. Dans un pays où l’arabe est la langue la plus couramment utilisée, ce chiffre souligne un problème d’accessibilité et d’équité linguistique dans la relation client.
Les clauses en très petit caractère (5%) : Bien que minoritaire, ce facteur visuel est révélateur d’un manque de lisibilité physique des documents. Il peut particulièrement affecter les personnes âgées ou malvoyantes.
Parallèlement à ce manque de compréhension des contrats, l’information est également largement jugée insuffisante : 65% des répondants parmi les personnes assurées affirme ne pas recevoir d’informations sur leur couverture d’assurance. Cela souligne un manque de suivi après souscription, ainsi qu’une faiblesse dans la stratégie de communication client. Cette situation peut engendrer une sous-utilisation des garanties, des incompréhensions lors des sinistres, et un désengagement vis-à-vis de la compagnie. Seuls 35% des assurés, soit une minorité, bénéficie d’un suivi informatif régulier. Ces clients profitent probablement de compagnies plus structurées en matière de relation client, ou d’outils numériques permettant un accès facilité aux détails du contrat (applications, emails, portails clients).
A cela s’ajoute le fait qu’une très large majorité des sondés (60%) juge la transparence des compagnies d’assurance insuffisante à très faible. Cela révèle une méfiance persistante et souligne un manque d’efforts pédagogiques, de clarté dans la communication, ou une opacité dans les contrats.
Que veulent les consommateurs ?
Dans son dernier rapport, la FNAC propose une série de mesures concrètes pour rapprocher le secteur des attentes des consommateurs marocains. Elle insiste sur la simplification des contrats, avec des versions en arabe et un langage accessible, ainsi que sur des formules adaptées aux petits budgets, dès 50 DH par mois. L’accent est aussi mis sur une gestion plus transparente et rapide des réclamations, la valorisation de la fidélité via des bonus et programmes de récompenses, et une communication régulière après la souscription pour expliquer clairement couvertures et exclusions. La FNAC appelle également à renforcer la pédagogie avec des campagnes de sensibilisation, ateliers et outils numériques, et à créer un comparateur officiel permettant de confronter facilement toutes les offres sur une base commune.