Violence conjugale: quelles différences entre les hommes et les femmes selon le HCP?

La présente note du HCP met en exergue les principales différences quant aux manifestations de la violence pour les femmes et les hommes et les perceptions de ces derniers vis-à-vis de cette violence pour une meilleure appréhension du phénomène dans ses différents contextes et formes.
Les résultats de l’enquête nationale sur la violence à l’encontre des femmes et des hommes de 2019 révèle que près de 50% de la population âgée de 15 à 74 ans ont subi au moins un acte de violence au cours des 12 mois précédant l’enquête, 57% des femmes et 42% des hommes.
Outre les tendances de la violence dans la société à laquelle les femmes sont exposées, la violence se manifeste également parmi les hommes, mais avec une incidence moindre.
Dans tous les espaces de vie et pour toutes les formes de violence, les femmes sont plus victimes que les hommes
Aussi bien pour les femmes que pour les hommes, le contexte conjugal s’avère l’espace de vie le plus marqué par la violence puisque 53% de l’ensemble des violences subies par les femmes et 39% par les hommes sont perpétrées par le (la) partenaire intime.
De même, parmi toutes les formes de violence, celle psychologique reste la forme la plus dominante. Elle représente 54% de l’ensemble des violences subies par les femmes et 73% de celles subies par les hommes.
Globalement, les femmes sont plus nombreuses à subir la violence dans tous les espaces de vie et sous toutes ses formes. Ainsi, par forme de violence, l’écart entre les taux de prévalence de la violence subie par les femmes et par les hommes est de 13 points de pourcentage pour la violence économique, 12 points pour la violence sexuelle, 10 points pour la violence psychologique et de 2 points pour la violence physique.
Par espace de vie, cet écart est de 16 points dans le cadre conjugal, 11 points dans les établissements d’enseignement et de formation, 7 points dans le contexte familial et de 3 points dans les lieux publics. Dans le cadre professionnel, la différence entre les hommes et les femmes dans la prévalence n’est pas significative (un point de plus pour les hommes).
La quasi-totalité des violences conjugales subies par les hommes sont de forme psychologique (94%)
Des différences importantes sont constatées, entre les formes de violence subies par les femmes et les hommes au sein de chaque espace de vie. Dans le cadre conjugal, si la violence subie par les hommes se manifeste surtout sous sa forme psychologique représentant 94%, celle à l’encontre des femmes se répartit sous différentes formes ; 69% psychologique, 12% économique, 11% physique et 8% sexuelle.
La violence psychologique qui occupe la première position dans tous les espaces de vie, représente, dans le contexte familial, près des trois quarts des violences subies, aussi bien par les femmes que par les hommes. La répartition des autres formes de violence est contrastée selon le sexe. En effet, pour les femmes, la deuxième position dans ce contexte concerne la violence économique avec 17% (contre 6% pour les hommes). Pour les hommes, cette position est attribuée à la violence physique avec 19% (contre 7% pour les femmes).
Pour les autres contextes de vie, la part de la violence sexuelle représente 21% des violences perpétrées à l’encontre des femmes dans les lieux du travail (contre 2% pour les hommes), 37% dans les établissements d’enseignement et de formation (contre 14% pour les hommes) et 42% dans les lieux publics (contre 8% pour les hommes).
Tableau 1 : Parts des formes de violence dans l’ensemble des violences par espace de vie selon le sexe (en %)
Contextes et formes de violence | Femme | Homme | |
Conjugal | Psychologique | 69,7 | 93,9 |
Physique | 11,0 | 2,9 | |
Sexuelle | 7,5 | 1,6 | |
Economique | 11,8 | 1,5 | |
Total | 100,0 | 100,0 | |
Familial | Psychologique | 73,5 | 73,6 |
Physique | 7,2 | 19,1 | |
Sexuelle | 1,9 | 1,2 | |
Economique | 17,4 | 6,1 | |
Total | 100,0 | 100,0 | |
Lieu de travail | Psychologique | 73,5 | 83,0 |
Physique | 5,7 | 14,8 | |
Sexuelle | 20,8 | 2,2 | |
Total | 100,0 | 100,0 | |
Etablissement d’enseignement et de formation | Psychologique | 51,7 | 48,5 |
Physique | 11,4 | 37,3 | |
Sexuelle | 37,0 | 14,3 | |
Total | 100,0 | 100,0 | |
Lieux publics | Psychologique | 31,6 | 52,3 |
Physique | 19,1 | 39,6 | |
Sexuelle | 49,2 | 8,2 | |
Total | 100,0 | 100,0 |
Source : HCP, Enquête Nationale sur la Violence à l’encontre des femmes et des hommes 2019
Perception masculine de la violence
Les perceptions des hommes vis-à-vis de la violence portent principalement sur la définition de la violence, les catégories les plus vulnérables, les espaces de vie les plus touchés, l’évolution de la violence dans la société marocaine et les rapports sociaux homme-femme, notamment les rapports de genre en lien avec le partage de l’autorité au sein du ménage et l’acceptation de la violence dans le contexte conjugal.
Décalage entre le vécu et le perçu des hommes vis-à-vis du contexte et de la forme de violence
Près de 66% des hommes perçoivent la violence, comme physique (64% en milieu urbain contre 68% en milieu rural). Pour 19%, la violence est psychologique (21% en milieu urbain contre 17% en milieu rural) bien que sa prévalence soit élevée parmi les hommes. Par ailleurs, la violence est perçue comme économique pour 8% et sexuelle pour 5% des hommes.
Les hommes ayant des niveaux scolaires plus avancés sont plus sensibles à la violence psychologique comparés aux autres ; 24% parmi ceux de niveau supérieur contre 17% pour les autres niveaux.
Concernant les perceptions des contextes les plus marqués par la violence, bien qu’en termes de prévalence, le contexte conjugal soit l’espace de vie le plus violent, il n’est cependant perçu comme tel que par 21% des hommes. Ce sont plutôt les lieux publics qui sont perçus comme les espaces de vie les plus à risque de violence (58%).
De même, c’est l’espace public qui, selon les perceptions des hommes, a connu une augmentation de la violence durant les cinq dernières années. Plus de 78% des hommes estiment que la violence y a augmenté (79% en milieu urbain et 75% en milieu rural). Le contexte conjugal vient en deuxième position avec 58% des hommes qui estiment que la violence y a augmenté (59% en milieu urbain et 55% en milieu rural). L’augmentation de la violence conjugale est particulièrement perçue par les hommes divorcés (64%) et ceux âgés de 45 à 59 ans (61%).
Ce décalage entre le vécu et le perçu est dû justement à l’aspect public de la violence dans les lieux publics et sa médiatisation, de plus en plus grandissante par les réseaux sociaux, ce qui la rend plus ressentie, contrairement aux violences domestiques et institutionnelles qui sont souvent vécues dans le privé ou le silence.
Conscience masculine de la vulnérabilité des femmes à la violence
Les femmes sont perçues comme étant la catégorie sociale la plus vulnérable à la violence par 42% des hommes alors que la catégorie des hommes n’est considérée comme telle que par 6%.
Concernant l’évolution de la violence durant les cinq dernières années, 55% des hommes ont ressenti son augmentation quand il s’agit de la violence l’encontre des femmes, 49% quand il s’agit de la violence l’égard des hommes et 48% quand il s’agit de la violence à l’égard des enfants.
En outre, durant les cinq dernières années, 64% des hommes jugent que la violence sexuelle a augmenté à l’encontre des femmes contre 52% à l’encontre des enfants.
La pauvreté, les conflits d’intérêt matériel et le manque de communication : principales sources de la violence dans le contexte conjugal
Indépendamment de leurs caractéristiques sociodémographiques, les hommes incriminent la survenue de la violence surtout aux facteurs matériels et socio-économiques (la pauvreté et le chômage des jeunes en l’occurrence) ainsi qu’aux facteurs d’ordre relationnel, dont les problèmes de communication. Il existe certes des variations selon certaines caractéristiques et selon les contextes étudiés.
Concernant la violence conjugale, les conflits d’intérêt matériel sont cités comme principales causes de la violence par 39% des hommes en milieu urbain. En milieu rural, c’est la pauvreté qui est citée en premier lieu par 44% des hommes. Les deux facteurs combinés, les conflits d’intérêt matériel et la pauvreté, représentent les principaux facteurs de risque de la violence conjugale pour 74% d’hommes (73% en milieu urbain et 77% en milieu rural). Les problèmes de communication sont incriminés par plus de 6% des hommes ; 9% parmi les jeunes âgés entre 15 et 24 ans et aussi parmi les hommes ayant un niveau scolaire supérieur.
La pauvreté, la consommation des drogues et d’alcool : principales causes de la violence dans les lieux publics
Quelles que soient leurs caractéristiques sociodémographiques, les hommes citent trois facteurs principaux de la survenue de la violence dans les lieux publics. Il s’agit de la pauvreté (40%), de la consommation des drogues et d’alcool (21%), du faible niveau éducatif et culturel des auteurs de violence (8%).
Persistance de la vision traditionnelle du partage des rôles entre hommes et femmes au sein du ménage parmi les ruraux, les moins instruits et les anciennes générations
Les perceptions concernant les rapports de pouvoir et d’autorité liés au genre ont été relevées afin d’élucider les normes sociales liées aux vécus de la violence sous ses différentes formes et dans ses différents espaces de vie, en l’occurrence le contexte conjugal.
Les opinions des répondants ont été ainsi sollicitées sur plusieurs sujets : sur la conception même de la masculinité ; sur la question du partage de l’autorité et de concertation entre la femme et l’homme au sein du ménage ; sur le recours à la violence à l’encontre de la femme ; sur l’acception de la violence conjugale et ses raisons sociales.
Concernant le partage des tâches domestiques entre l’homme et la femme, près de 9% des hommes affirment de manière catégorique que « la participation de l’homme aux tâches domestiques le rabaisserait et le dévaloriserait« . Cette proportion est plus élevée parmi les hommes ruraux (12% contre 6% des citadins), les sans niveau scolaire (15% contre 5% pour ceux ayant un niveau supérieur) et les hommes âgés de 60 ans et plus (12% contre 8% pour ceux âgés de 15 à 24 ans).
Graphique 2 : Perception des hommes sur le fait que « la participation de l’homme aux tâches ménagères le dévalorise » selon le milieu de résidence et les groupes d’âges
Source : HCP, Enquête Nationale sur la Violence à l’encontre des femmes et des hommes 2019
Toutefois, plus de la moitié des hommes sont d’accord sur le fait que « le rôle le plus important de la femme est de s’occuper des affaires du ménage» : 31% sont tout à fait d’accord et 23% sont à priori d’accord.
Les représentations de la masculinité peuvent sans doute avoir un impact sur la conception de l’autorité et du pouvoir dans les relations hommes-femmes.
Concernant le partage de l’autorité entre la femme et l’homme au sein du ménage, 15% des hommes désapprouvent de manière catégorique et 10% dans certaine mesure, le partage de l’autorité au sein du couple.
Les perceptions catégoriquement défavorables au partage de l’autorité au sein du couple sont plus exprimées par les hommes ruraux (18% contre 14% parmi les citadins) et les sans niveau scolaire (22% contre 11% parmi ceux ayant un niveau scolaire supérieur).
Dans le même contexte, 63% d’hommes et principalement les ruraux (70% contre 59% des citadins) trouvent normal que le dernier mot revienne au conjoint masculin sur toutes les questions concernant les affaires de la famille. Cette proportion est de 74% parmi les hommes n’ayant aucun niveau scolaire contre 45% parmi ceux ayant un niveau scolaire supérieur.
Concernant l’expression des opinions entre partenaires, 33% des hommes n’acceptent pas que la femme contredise l’opinion de son partenaire même si elle n’en est pas convaincue. Cette proportion est particulièrement élevée parmi les hommes ruraux (41% contre 28% des citadins), les hommes âgés de 60 ans et plus (38% contre 32% parmi les hommes âgés de 15 à 34 ans) et les hommes sans aucun niveau scolaire (44% contre 16% parmi les hommes ayant un niveau scolaire supérieur).
Il semble ainsi que sur cette question d’autorité au sein du couple, les opinions des hommes sont assez ambivalentes. Une telle ambivalence peut-être due aux gaps qui existent entre ce que les gens perçoivent et leurs attitudes effectives.
Les rapports biaisés d’autorité et de pouvoir entre les deux sexes sont souvent des causes principales de la violence perpétrée surtout dans des espaces de vie où ce genre de rapports est fréquent, en particulier le contexte conjugal.
Les perceptions contrastées de l’autorité et de la masculinité dans la société interpellent également l’examen des formes d’acceptation sociales et psychologiques de la violence à l’encontre des femmes.
Près du tiers des hommes reconnaissent au conjoint le droit de battre sa partenaire pour une quelconque faute
Ainsi, sur certains aspects, spécifiques et complémentaires, liés au droit du partenaire de violenter sa conjointe, les résultats montrent que près des 2/3 des hommes (64%) refusent le recours du conjoint à la violence à l’encontre de sa partenaire quelle qu’en soit la raison. Néanmoins, plus de 25% des hommes reconnaissent au conjoint le droit de battre / violenter son épouse si elle sort sans son autorisation et 15% si elle néglige de s’occuper des enfants.
Ils sont plus de 7% à approuver le fait que le conjoint a le droit de battre / violenter son épouse si elle refuse d’avoir une relation sexuelle avec lui, 6% si elle néglige les travaux ménagers et 6% si elle contredit ses opinions.
Graphique 3: Proportion des hommes qui reconnaissent au mari le droit de battre / violenter son épouse selon les contextes
Source : HCP, Enquête Nationale sur la Violence à l’encontre des femmes et des hommes 2019
Sept hommes sur dix affirment le caractère privé de la violence conjugale et plus de trois sur dix préfèrent ne pas intervenir en cas de violence entre conjoints
Ces dernières perceptions reflètent des visions androcentriques qui sont encore bien ancrées et qui peuvent être aussi élucidées par les perceptions des hommes sur l’acceptation de la violence conjugale et ses justifications sociales; notamment, certains propos tels que » la femme devrait supporter la violence perpétrée par le partenaire pour maintenir la stabilité de sa famille « et » qu’elle devrait considérer cette violence en tant qu’une affaire privée qu’il ne faut pas divulguer à autrui ».
Ainsi, 40% des hommes sont d’accord à ce que la partenaire endure la violence infligée par son conjoint pour conserver la stabilité de la famille, 15% d’entre eux sont catégoriquement d’accord et 25% en sont à priori d’accord. Cette perception est plus élevée parmi les hommes sans niveau scolaire (50% contre 22% de ceux ayant le niveau supérieur), les ruraux (48% contre 36% parmi les citadins) et les plus âgés de 60 à 74 ans (46% contre 37% parmi ceux âgés de 15 à 34 ans).
A cet égard, les hommes avancent, en général, des raisons sociales pour justifier la continuité d’une relation conjugale avec un partenaire violent. 72% des hommes l’imputent principalement à la présence des enfants dans le couple, 6% à l’existence des relations familiales et 4% au manque de ressources de la femme.
En outre, 42% des hommes (51% dans le rural) affirment de manière catégorique que la violence au sein du couple est une affaire privée que la partenaire ne doit en aucun cas divulguer, 28% en sont à priori d’accord, ce qui représente un total de 70% d’hommes (76% en milieu rural et 66% en milieu urbain).
En lien avec la dimension privée de la violence conjugale, les hommes ont été également interrogés sur leurs réactions en présence d’un homme qui bat sa femme. Plus que 36% des hommes déclarent « ne rien faire » considérant cette situation une affaire privée des concernés. Cette proportion est encore plus élevée dans l’urbain (40%) et parmi les célibataires (41%).
Plus de la moitié des hommes méconnaissent la loi 103-13 relative à la lutte contre la violence à l’encontre des femmes
D’un autre côté, plus de la moitié des hommes (57%) ne sont pas au courant de l’existence de la loi 103-13 relative à la lutte contre la violence à l’encontre des femmes. Cette proportion est plus élevée en milieu rural (69% contre 51% en milieu urbain) et parmi les hommes sans niveau scolaire (74% contre 30% parmi ceux ayant un niveau supérieur).
Quant à la satisfaction des hommes vis-à-vis de cette loi, 17% d’entre eux la considèrent comme suffisante pour garantir totalement la protection des femmes contre la violence contre 31% d’hommes qui la jugent plutôt insuffisante et particulièrement les citadins (35%) et ceux ayant un niveau scolaire supérieur (41%).
Conclusion
L’analyse des perceptions des hommes vis-à-vis de la violence en général, révèle un décalage entre le vécu et le perçu des hommes quant au contexte de vie le plus violent et la forme de violence la plus répandue. En effet, si le contexte conjugal et la forme psychologique affichent les taux de prévalence les plus élevés, ce sont plutôt les lieux publics et la forme physique qui sont perçus comme les plus concernés par la violence.
En outre, malgré la conscience masculine de la vulnérabilité des femmes à la violence, l’analyse des perceptions des hommes vis-à-vis des rôles sociaux et des rapports d’autorité au sein du couple reflète une persistance de la vision traditionnelle des rôles entre hommes et femmes au sein du couple. Cette persistance se reflète aussi par la reconnaissance au conjoint le droit de violenter et/ou de battre sa conjointe pour une quelconque faute et la considération de la violence conjugale comme étant une affaire propre du couple qu’il faut vivre en privée, surtout parmi les ruraux, les moins instruits et les anciennes générations. De telles perceptions masculines représentent un facteur de risque de victimisation majeur qui favoriserait la perpétration et la persistance de la violence à l’égard des femmes.
Source: Communiqué officiel