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Effondrement de la consommation d’informations de qualité des jeunes

OPINION. Les résultats des enquêtes sur les habitudes de consommation de l’information des jeunes sont très inquiétants pour l’avenir de la presse de qualité en Suisse, écrit Jean-Claude Domenjoz, Expert d’éducation aux médias et à l’information

Sans renouvellement de son lectorat, la presse de qualité dont dépend l’idéal démocratique est condamnée à dépérir. Une grande partie des jeunes privilégie les réseaux sociaux et les plateformes des géants mondiaux de l’internet pour s’informer plutôt que les médias traditionnels. Les médias helvétiques cherchent à séduire le public juvénile en adaptant leur offre. En ce début d’année, les grands éditeurs suisses alémaniques lancent simultanément en Suisse romande deux nouveaux médias en ligne gratuits, Watson (AZ Medien) et Blick (Ringier), qui viennent concurrencer la presse régionale et nationale avec des formules d’infotainment susceptibles d’attirer un large public et les annonceurs.

Personnes chroniquement sous-informées

En une décennie, la consommation par les jeunes des médias traditionnels a fortement diminué. L’engouement pour les quotidiens gratuits, souvent évoqué comme une étape vers la presse payante, n’a été qu’un feu de paille. Selon l’étude James 2020 (Jeunes activités médias enquête suisse, Haute école spécialisée de Zurich – ZHAW), la lecture de la presse gratuite a dégringolé de 50% en 2012 à 10% en 2020, alors que celle des quotidiens papier payants passait de 30 à 10%.

Aujourd’hui, les 16-19 ans sont 96% à utiliser un moteur de recherche (Google), 87% les réseaux sociaux et plus de 70% les portails vidéo pour s’informer. En une décade, l’usage du smartphone s’est répandu comme une traînée de poudre et a tout emporté. La non-consommation des médias traditionnels pour s’informer en ligne est très révélatrice, plus des trois quarts des jeunes adultes (16-19 ans) ne consultent pas régulièrement les portails des journaux ou des magazines, ni ceux des chaînes télévisées, et plus de 90% n’écoutent pas la radio en streaming ou de podcasts. L’institut de recherche fög de l’Université de Zurich (annales 2020 sur la qualité des médias) a établi que, désormais, plus de la moitié des jeunes adultes (16 à 29 ans) appartiennent au groupe des personnes chroniquement sous-informées («indigents médiatiques», 32% en 2009).

En une décade, l’usage du smartphone a tout emporté

La récente étude financée par l’Office fédéral de la communication (Ofcom) «How to Reach Swiss Digital Natives with News», publiée en février 2021, réalisée par l’Institut d’études médiatiques de la Haute école spécialisée de Zurich (ZHAW), en collaboration avec les universités de Lausanne (Unil) et de la Suisse italienne (USI), vise précisément à mieux connaître les goûts des jeunes en matière d’information journalistique dans l’intention de leur proposer des contenus susceptibles de les intéresser. Cette recherche qualitative a été réalisée auprès d’une soixantaine de jeunes âgé-e-s de 12 à 20 ans de tout le pays.

Séduire les «digital natives»

Passer le temps et se divertir, satisfaire des intérêts personnels, pouvoir discuter de sujets d’actualité ou «en vogue» sont les principales motivations pour consommer de l’information, tous âges et toutes provenances confondus. Leurs préférences vont aux formats visuels (photos et vidéos), aux articles courts qui résument les faits, aux informations positives et à l’utilisation d’applications propriétaires (Instagram, YouTube, WhatsApp) de partage de contenu au sein de communautés.

Les images ou vidéos amusantes sont particulièrement prisées. Cette enquête a aussi permis de mettre en évidence que la consommation de nouvelles des «natifs du numérique» doit beaucoup au hasard ainsi qu’aux notifications qui leur sont adressées. Par ailleurs, la notion de «nouvelle» est souvent mal définie, particulièrement chez les plus jeunes. C’est ainsi que tout ce qui se passe et qui est important pour leur vie quotidienne est qualifié ainsi (horaire des transports publics ou prévisions météorologiques).

Les résultats de ces enquêtes sur les habitudes de consommation de l’information des jeunes sont très inquiétants pour l’avenir de la presse de qualité en Suisse. Est-il suffisant de chercher à séduire les digital natives en adaptant l’offre à leurs usages? Ne serait-il pas temps de donner à tous les jeunes le goût de l’information de qualité et de larges compétences médiatiques en leur offrant la possibilité d’en produire? Les journaux de classe (blog, twitter) offrent de magnifiques opportunités trop peu utilisées dans le cadre scolaire. Ne faudrait-il pas aussi envisager la création d’un média d’actualité spécialement destiné aux adolescent-e-s et auquel ils/elles seraient partie prenante?

Source: Letemps.ch 

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