Les géants américains de la grande consommation gonflent leurs prix
Coca-Cola, Unilever, Procter & Gamble… Face aux pénuries de matières premières ou à la hausse des prix du transport, plusieurs industriels ont dû se résoudre à augmenter leurs tarifs pour préserver leurs marges. C'est moins le cas en France, où la faiblesse de la demande dissuade pour l'instant les entreprises de jouer du « pricing power ».
Unilever a pris pour les autres. Premier géant européen de la grande consommation à présenter ses résultats financiers du premier semestre, le fabriquant des glaces Ben & Jerry’s ou du savon Dove a dû encaisser un sévère trou d’air en ouverture de la Bourse de Londres, jeudi (jusqu’à -5,8 %, en partie comblé par la suite). Son tort : avoir annoncé qu’il comptait relever ses tarifs sur toute une sélection de produits pour préserver ses marges face au choc de prix auquel est actuellement confronté le secteur.
« Même si nous sommes très vigilants quant à nos prix, l’inflation a été encore plus importante que nous l’imaginions », a concédé le directeur financier du britannique, Graeme Pitkethly, lors d’une conférence avec les journalistes. Flambée des cours du soja ou de l’huile de palme, hausse du coût du fret, du packaging, sous-traitants débordés : l’industriel doit composer avec des coûts de production de plus en plus lourds, qui l’avaient déjà obligé à relever ses prix de 1,6 % en moyenne au second trimestre. Il est loin d’être le seul.
Le désordre règne
Les protections hygiéniques Tampax et les couches Pampers chez Procter & Gamble, le papier toilette Scott chez Kimberly-Clark, le ketchup de Kraft Heinz ou les produits Coca-Cola… Les augmentations de prix se sont succédé ces derniers mois dans la grande distribution. Tout particulièrement aux Etats-Unis où le « price index », l’indice mesurant le niveau de prix d’un ensemble de biens et services (vêtements, produits alimentaires, restauration, loisirs), a progressé de 0,9 % de mai à juin – du jamais-vu depuis juin 2008.
Plus d’un an après l’émergence du coronavirus, le désordre règne encore sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les fabricants asiatiques, en particulier chinois, peinent à répondre à la demande et ne souhaitent pas trop investir dans leurs capacités de production pour se retrouver en surrégime une fois que le pic sera passé. Une partie de la main-d’oeuvre doit toujours composer avec des restrictions de déplacements, dans les régions du monde les plus affectées par la pandémie.
La pénurie des conteneurs ne faiblit pas, pas plus que le manque de certaines matières premières comme les polymères, composant de base du plastique – et donc d’une grande partie des emballages. Les aléas météorologiques ont fait souffrir certaines récoltes, entraînant une hausse des cours. En bout de chaîne, les consommateurs commencent donc à voir la facture grimper sur certains produits du quotidien.
Dilemme
Pour les industriels, l’équation est d’autant plus sensible qu’il s’agit de ne pas rater le rebond d’une demande longtemps amorphe – ce qui implique, aussi, des dépenses accrues en marketing. D’où le dilemme : mieux vaut-il absorber la hausse des coûts sur sa trésorerie ou bien les répercuter sur les prix à la consommation, au risque de perdre des parts de marché ?
« En ce moment, compte tenu de leurs liquidités confortables, les industriels sont peut-être plus enclins à encaisser le choc de prix qu’ils ont subi, avance l’économiste Denis Ferrand, directeur général du cabinet Rexecode. Pour certains, c’est même le moment idoine pour prendre des parts de marché par rapport à ceux qui n’ont d’autres choix que de répercuter. »
La situation n’est, à vrai dire, pas vraiment la même de part et d’autre de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, les milliers de dollars déversés par Washington sur les ménages ont dopé la demande, donnant aux entreprises une marge de manoeuvre sur le « pricing power » et laissant donc filer l’inflation à des niveaux inédits depuis plus d’une décennie.
Demande assoupie en Europe
Rien de tel en Europe où, exception faite du Royaume-Uni, la hausse des prix reste pour l’heure contenue – les prix à la consommation ont augmenté de 1,5 % en juin sur un an en zone euro. Le réveil de la demande, encore tout relatif, dissuade les entreprises de relever leurs prix, quand bien même leurs coûts flambent – Danone a par exemple évoqué une hausse de 10 % pour certains intrants comme le lait ou le plastique. Sans compter que les contrats avec les distributeurs sont renégociés deux fois l’an en France, empêchant une réaction immédiate.
Conséquence : l’indice des prix de la grande distribution calculé par l’Insee recule encore en juin (-0,30 % en glissement annuel), même si plus faiblement qu’en mai (-0,50 %). Pour le bonheur des consommateurs et le malheur des marges des industriels.