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Sociétés régionales multiservices, un rapport tire la sonnette d’alarme sur une dérive néolibérale

 

Un rapport de l’Institut marocain d’analyse des politiques (IMAP-MIPA) met en garde contre les conséquences économiques et sociales de la réforme introduite par la loi 83.21, promulguée en juillet 2023, et relative à la création des sociétés régionales multiservices (SRM). Derrière le discours officiel vantant une meilleure performance des services publics d’eau et d’électricité, l’étude dénonce un changement en profondeur du modèle de gouvernance, au profit d’une logique marchande.

Un glissement discret mais profond vers la privatisation

À première vue, la réforme s’inscrit dans une volonté d’optimisation de la gestion des services publics. Mais pour l’IMAP, il s’agit surtout d’un transfert masqué de souveraineté économique. En permettant à des capitaux privés de contrôler jusqu’à 90 % des nouvelles structures, l’État s’expose à une perte d’influence sur l’allocation de ressources stratégiques. Loin de renforcer le service public, cette configuration transformerait l’eau et l’électricité en produits soumis aux impératifs de rentabilité.

Ce changement de paradigme, calqué sur les règles du droit commercial, met à mal les mécanismes de solidarité territoriale, notamment dans les zones peu peuplées ou éloignées, là où les investissements privés risquent de se faire rares.

La tarification sociale en voie d’extinction

Autre signal d’alerte : la disparition programmée des tarifs sociaux. Ce dispositif, longtemps garant d’un accès abordable pour les ménages les plus modestes, pourrait céder la place à une politique tarifaire indexée sur les coûts réels, dictée par les exigences de rentabilité des actionnaires. Dans un contexte où l’inflation pèse déjà lourdement sur les foyers urbains, l’IMAP estime que plus de 30 % des ménages pourraient être exposés à une précarité énergétique accrue.

Sans encadrement réglementaire clair, les hausses de prix deviendraient inévitables, accentuant les inégalités et réduisant le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes.

Un retour aux erreurs du passé

Le rapport reproche également au gouvernement de s’enfermer dans une logique strictement comptable pour justifier la réforme, en mettant en avant les déficits chroniques de l’ONEE. Cette approche ferait abstraction des leçons tirées des expériences précédentes de gestion déléguée, comme celles de Lydec à Casablanca ou Redal à Rabat, marquées par des pratiques opaques et des tensions sociales persistantes.

L’affaire de la raffinerie Samir est également rappelée à titre d’exemple : un projet initialement stratégique pour l’indépendance énergétique du pays, dont la privatisation précipitée s’est conclue par une débâcle économique et un contentieux judiciaire encore non résolu.

Des acteurs locaux marginalisés

La méthode ayant conduit à l’élaboration de la réforme est également critiquée. Le rapport souligne l’absence de concertation avec les collectivités territoriales, les syndicats et les représentants de la société civile, alors même qu’ils sont directement concernés par la transformation du modèle de gestion. Cette exclusion nourrirait un sentiment de défiance et alimente déjà des tensions parmi les salariés du secteur, inquiets pour leur avenir professionnel.

L’ambiguïté autour du statut des employés transférés aux nouvelles entités risque de provoquer une instabilité sociale durable, faute de garanties suffisantes sur la continuité des droits ou sur la représentativité du personnel.

Pour une réforme inclusive et transparente

L’IMAP appelle à une révision profonde du dispositif, en privilégiant une approche inclusive, participative et fondée sur l’intérêt général. Il plaide notamment pour le maintien d’une tarification sociale, la réaffirmation du rôle central des collectivités locales, ainsi que l’instauration de mécanismes de transparence et de reddition des comptes.

À ses yeux, l’eau et l’électricité sont des biens communs et des ressources stratégiques qui ne doivent pas être abandonnés aux lois du marché. C’est seulement par une gouvernance équilibrée, soucieuse d’équité sociale, que le Maroc pourra éviter ce que l’institut qualifie de « régression sous couvert de modernisation ».

Source Barlamane

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