Produits agricoles : les pesticides, une bombe à retardement sanitaire

Chaque été, les cas d’intoxication alimentaire se multiplient au Maroc, rappelant une réalité inquiétante : l’usage incontrôlé des pesticides fragilise à la fois la santé publique et la crédibilité du modèle agricole national. Alors que les exportations agricoles constituent l’un des piliers de l’économie, leur pendant domestique souffre d’un laxisme criant. La consommation de fruits contaminés, notamment les melons et pastèques, met en lumière un double système agricole — l’un contrôlé pour l’export, l’autre largement informel pour le marché local.
En juin dernier, plusieurs incidents ont été signalés dans diverses régions du Royaume. À Taounate, 13 personnes ont été hospitalisées après avoir consommé de la pastèque. Dans les Doukkala, 12 autres ont été prises en charge en urgence. Casablanca n’a pas été épargnée : une jeune femme a dû être admise en clinique après avoir mangé un melon. Des cas révélateurs d’un problème structurel bien plus profond, rapporté par L’Économiste dans une récente revue de presse.
Des circuits de distribution hors contrôle
Derrière ces intoxications se cache une réalité souvent ignorée : les produits agricoles circulent en dehors des circuits de gros, sans aucun contrôle sanitaire. Beaucoup de fruits et légumes sont vendus directement sur les marchés ou par des détaillants informels, échappant à toute traçabilité. Cette opacité favorise la présence de résidus de pesticides à des niveaux dangereux, notamment lorsque les agriculteurs utilisent des substances non homologuées ou détournent leur usage.
Des pesticides en vente libre… dans des garages
Le recours à des pesticides achetés dans des entrepôts illégaux ou des garages improvisés en zone rurale est devenu courant. Ouadie Madih, président de la Fédération nationale des associations de consommateurs (FNAC), alerte : « On manipule ces produits comme s’il s’agissait de simples engrais, alors qu’ils requièrent une rigueur équivalente à celle des médicaments. » Le contrôle, sur le terrain, est quasi inexistant.
Pourtant, le Maroc dispose officiellement de plus de 1.280 produits phytosanitaires homologués, dont 327 substances actives. Mais ce cadre réglementaire est souvent contourné : une quarantaine de substances autorisées seraient classées comme hautement dangereuses selon des ONG européennes.
Deux poids, deux mesures
Le contraste est flagrant entre les cultures destinées à l’export, soumises à des normes strictes, et celles réservées au marché local. « Le circuit domestique est anarchique, avec une prolifération de produits contrefaits ou mal dosés. Cela devient un problème de santé publique majeur », alerte un exportateur. Même certains exportateurs non producteurs se déchargent de leur responsabilité en achetant sans vérifier l’origine ou la qualité des fruits. Une négligence qui menace à la fois l’image des produits marocains à l’international et la sécurité des consommateurs nationaux.
Une alerte systémique
Le modèle agricole marocain montre ici l’un de ses points faibles les plus critiques. Ce n’est pas la performance des exportations qui est en cause, mais bien l’absence de gouvernance intégrée sur l’ensemble de la chaîne, du champ à l’assiette. La saison estivale, avec ses températures élevées et ses besoins en irrigation, exacerbe les risques. Mais ceux-ci ne sont que les symptômes d’un système à deux vitesses, où l’agriculture locale est reléguée à une zone grise, mal contrôlée, mal régulée, et à fort potentiel de nuisance.
Une réforme profonde du système de traçabilité, du contrôle de la distribution des intrants agricoles et de l’information aux consommateurs semble plus urgente que jamais. Faute de quoi, le talon d’Achille du modèle agricole marocain pourrait bien se transformer en crise sanitaire à grande échelle.
Avec L’Economiste