Edito : Ménages et jeunes, les oubliés du Plan Benchaâboun!
Le lundi 4 novembre, une rencontre inédite a été tenue à Casablanca entre d’un côté la CGEM et, de l’autre côté, les ministres de l’Intérieur et des Finances. En cette salle de l’hôtel Hyatt Regency tenait tout le gotha des affaires au Maroc et 70% du PIB du Maroc ou presque.
Ce décor planté il est ensuite naturel de conclure à la gravité de l’heure.
Le slogan sous lequel était tenue la rencontre confirme cette impression : «Pour la consolidation de la confiance et la relance de l’investissement».
S’il est visible à l’oeil nu que l’investissement n’a cessé de flancher depuis quelques années, il est en revanche peu évident de conclure au défaut de confiance. Mais il semble que c’est le cas. Il va de soi dans cette perspective de déduire qu’il s’agit de la confiance des investisseurs et des capitaux. En effet, on n’a rarement été autant servis qu’aujourd’hui par des informations allant dans le sens de sorties massives de capitaux, de retrait massif du cash du circuit bancaire, etc. Les gens, ceux qui ont les capitaux, récupèrent donc leur mise pour aller la mettre là où c’est plus sûr. C’est ce qu’il faut retenir de cette idée de perte de confiance ayant mobilisé deux départements parmi les plus importants du Gouvernement pour redorer le blason du Maroc devant ses propres entreprises!
Mais, ne faut-il pas, au-delà du capital national et étranger, recouvrer également la confiance d’autres composantes de la société ? Les ménages par exemple ou encore les jeunes ?!
Dans l’un de nos derniers articles commentant l’indice de confiance du HCP nous titrions ainsi : «Confiance des ménages: faut-il s’attendre à une explosion de la tension sociale?»
Etions-nous alarmistes ? Probablement, dans une certaine mesure. Mais comment sinon alors interpréter le fait que «plus du tiers des ménages sondés déclaraient s’endetter pour arrondir les fins de mois et 61,5% des ménages estiment que leurs revenus couvrent (à peine?) leurs dépenses» et que «seule une poignée de 4,5% des sondés déclare épargner une partie de ses revenus». Comment ensuite interpréter le sentiment d’une vie plus chère exprimé par 83,9% des ménages et d’une condamnation au chômage attendue par 79,7% ?
Quant aux jeunes, la perte de confiance semble atteindre un plus bas historique (pour rester dans le jargon financier). Preuve en est cette chanson RAP devenue en quelques jours un phénomène de société malgré une qualité artistique bien discutable et un vocabulaire méritant des années d’internement dans une crèche pour adultes (pour rééducation à l’ancienne (la falaqa) ; la prison serait un cadeau dans ce cas!). Preuve en est aussi cette vidéo-amateur filmant un groupe d’écoliers, garçons et filles, en train de se shooter à la colle !
Mais cet écran de fumée délinquant ne saurait faire oublier que le malaise de la jeunesse, et plus exactement le désarroi, est une réalité. Cette catégorie qui fera le Maroc de demain, autant ou même plus que les capitaux, mérite elle-aussi qu’on lui adresse des messages d’assurance et de confiance.
Les réponses adéquates ont déjà été données par le Roi à l’occasion de ses derniers discours. Il a en effet appelé, on ne plus expressément, à revoir le modèle économique pour qu’il soit plus inclusif, avec un effort particulier porté en direction des ménages et des jeunes entrepreneurs, à travers un meilleur accès au crédit notamment.
Si le gouvernement a vite fait de multiplier les gestes de bonnes intentions en direction du capital (amnistie fiscale, baisse de l’IS, rencontre d’explication et de discussion, mise à disposition du foncier, etc.) ; qu’a-t-il entrepris pour reconquérir la confiance des ménages et de la jeunesse et se conformer ainsi aux directives royales ?
En tant que média qui a pour vocation première la défense du pouvoir d’achat du consommateur nous estimons que cet effort doit consister en un meilleur rapport qualité/prix du service public. En gros, il faut que le contribuable en ait pour son impôt.
Il se trouve que, confronté à une sérieuse pression budgétaire, le gouvernement va dans le sens inverse d’une telle perspective en ayant le réflexe d’élargir l’assiette fiscale et en se délestant des services publics de base ; ce qui revient in fine à faire payer davantage le contribuable pour un service public à minima.
Impasse sans issue ?
En apparence oui. Mais le gouvernement a les moyens de la dépasser en ayant une approche davantage stratégique que techniciste et comptable.
Comment ?
Il s’agit en effet d’amorcer le processus de création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs. Cela permettra à l’Etat de frapper plusieurs coups d’une seule pierre. Primo, cela permettra d’élargir le gâteau des prélèvements fiscaux (directs et indirects), car plus de revenus signifient aussi plus de dépenses. Secundo, cela permettra de résorber le chômage, distribuer davantage de salaires et de pouvoir d’achat et booster le taux de croissance. Tertio, et c’est cela le plus important, ce capital entièrement local aura naturellement le réflexe de réinvestir dans le pays pour le pays.
Il s’agit en gros d’adopter une démarche keynésienne, une sorte de plan Marshall inversé, qui s’adresse aux masses, aux petites gens pour amorcer une sorte de ruissellement par le bas.
Le Maroc d’aujourd’hui a les moyens d’enclencher une telle rupture, la seule à même de conférer à son économie une résilience face aux aléas de la conjoncture internationale et aux caprices du capital.
On a parlé ici et là d’une nouvelle révolution du Roi et du Peuple, cette marche verte économique en fait sans doute partie.