
L’intelligence artificielle commence à s’implanter dans le quotidien des Marocains, mais sa pénétration reste encore modeste. Selon l’enquête nationale TIC 2024-2025 de l’ANRT, seulement 4 personnes sur 10 déclarent connaître l’IA et 24,1 % l’ont déjà utilisée. Cette adoption naissante cache pourtant une dynamique forte chez les jeunes, premiers à exploiter les outils pour apprendre, créer ou travailler.
Les écarts sont frappants selon le milieu de vie et le genre. En zone urbaine, 32,8 % des habitants ont déjà utilisé une application d’IA, contre 11,4 % en zone rurale. Les hommes sont deux fois plus nombreux à recourir à ces outils que les femmes (32 % contre 16,4 %). La plupart des utilisateurs ne maîtrisent l’IA qu’à un niveau basique (70,9 %), et seuls 9,2 % déclarent une connaissance approfondie.
Malgré ces disparités, la perception de l’IA reste très positive : 98 % des Marocains estiment qu’elle bénéficie à la société, 67 % sans réserve. Les domaines jugés les plus impactés sont la concurrence économique internationale, la recherche scientifique, la rédaction et les travaux scolaires.
Les jeunes, moteurs d’une transformation silencieuse
Pour Salah Baïna, enseignant-chercheur à l’ENSIAS, l’IA est déjà pleinement intégrée dans les pratiques des collégiens, lycéens, étudiants et jeunes actifs. « Ils l’utilisent pour le soutien scolaire, la recherche d’informations, la rédaction académique, la création de contenu ou encore pour améliorer CV et présentations », explique-t-il. Ces usages témoignent d’une transformation profonde des manières d’apprendre, de créer et de s’organiser, surtout dans les zones où l’accès au numérique est facilité.
L’IA devient ainsi un co-auteur ou un coach, capable d’aider à structurer des devoirs, corriger la grammaire, simplifier des textes ou générer des idées créatives. Mais son efficacité dépend d’un usage réfléchi : se reposer entièrement sur l’IA peut nuire à l’entraînement de la réflexion et des capacités rédactionnelles.
Des risques à encadrer
L’expert souligne plusieurs défis : le risque de triche aux examens, l’apprentissage biaisé, et l’accentuation de la fracture numérique. Ceux qui maîtrisent mieux les outils en tirent un avantage, laissant les autres en retrait, notamment en milieu rural ou parmi les ménages modestes. Une utilisation responsable implique de confronter les réponses générées par l’IA à plusieurs sources et de corriger ou enrichir les contenus fournis.
Enseignants, parents et institutions : une responsabilité partagée
Baïna insiste sur la nécessité d’un encadrement collectif : les enseignants doivent guider l’usage en classe, vérifier la compréhension et limiter les fraudes. Les parents doivent poser des règles claires, différencier aide et réalisation complète des devoirs, et sensibiliser aux risques numériques. Les institutions, elles, ont un rôle structurant : former massivement les jeunes aux compétences numériques, créer des outils éducatifs en arabe et en amazigh, et développer un cadre national pour l’IA.
L’enquête et les observations de l’expert convergent : l’IA est en train de devenir un levier de compétences et de créativité pour la jeunesse marocaine, à condition d’être utilisée avec discernement et encadrée par un accompagnement éducatif et institutionnel solide.
Avec Le360
