Commerce en ligne : entre cadre légal et réalité algorithmique, quelle protection pour le consommateur ?

La 6ᵉ édition du Moroccan Consumer Day a ouvert ses débats sur un thème brûlant : la régulation du commerce numérique à l’ère de l’intelligence artificielle.
Ce premier panel a révélé une tension fondamentale entre un cadre réglementaire en cours d’adaptation, une technologie en avance rapide, et un consommateur souvent démuni.
Si la loi n° 31-08 et les efforts du autorités posent les bases d’un environnement encadré, la montée en puissance de l’IA, l’opacité des modèles algorithmiques et le décalage entre la pratique et la réglementation imposent une refondation éthique et pratique de la protection numérique.
Ouvrant les discussions, M. Mohamed Outerrqiss, chef de service du contrôle des pratiques commerciales au Ministère de l’Industrie et du Commerce, a rappelé les fondements juridiques en matière de protection du consommateur dans le commerce électronique. « Concernant les ventes à distance, la loi n° 31-08 impose plusieurs obligations aux vendeurs et instaure de nombreux droits au bénéfice du consommateur», a-t-il précisé.
Parmi les obligations des fournisseurs, figurent l’affichage clair de l’identité du vendeur, la transparence sur les prix, l’instauration d’un droit de rétractation de 7 jours, étendu à 30 en l’absence de confirmation contractuelle écrite.
En plus, a-t-il ajouté, le ministère dispose d’un portail dédié aux consommateurs permettant de déposer des réclamations, qui peuvent donner suite à de simples avertissements ou des poursuites judiciaires.
Quand la machine prend le dessus
Intervenant ensuite, M. Jaouad Dabounou, représentant de la Fédération Marocaine des Droits du Consommateur (FMDC), a dressé un constat plus préoccupant.
« La plupart des lois datent des années 1990 ou 2000, à une époque où les données étaient statiques et traitées par des humains. Aujourd’hui, les algorithmes travaillent en temps réel, sans transparence, ni contrôle humain. », citant comme exemples le scoring de crédit ou d’assurance désormais fait par des machines sans justification,
Dans ce context, « Une relation commerciale est devenue une interaction asymétrique entre une personne et une machine. »
- Dabounou soulève une question éthique essentielle : à qui appartient le profil numérique que construit l’IA à partir de mes données ? Même en demandant la suppression de ses données, le profil reste actif dans les modèles d’IA.
Il dénonce aussi la prolifération incontrôlée du commerce informel sur les réseaux sociaux, hors de tout cadre légal, et appelle à une responsabilisation partagée : plateformes, institutions… mais aussi consommateurs.
« En cherchant les bonnes affaires, certains internautes s’exposent volontairement à des arnaques. Il faut donc éduquer le consommateur numérique, pas seulement légiférer. »
Les marques à l’épreuve de la donnée
Enfin, M. Achraf Lemnini, CEO de Share Conseil, a apporté un éclairage opérationnel sur la manière dont les marques gèrent les données des consommateurs, depuis l’acquisition jusqu’à l’usage final.
Il distingue les données de prospects, souvent acquises via des plateformes internationales, transmises à des centres d’appels via CRM, des données de clients, soumises à des réglementations plus strictes, notamment dans la banque ou l’assurance.
« La rigueur varie fortement selon le statut de la donnée. Pourtant, chaque acteur porte une responsabilité à son niveau. », précisant que: l’agence est responsable du message publicitaire, le call center de la qualification, le point de vente de l’utilisation.
Mais cette rigueur reste théorique, dépendant du degré de maturité de l’annonceur et de ses prestataires.
« Sans discipline ni transparence, le risque de fuite, de malentendu ou d’usage abusif est permanent. »
Il appelle donc à plus de clarté contractuelle, de documentation des processus, et surtout de retour d’information dans les chaînes CRM, pour garantir l’usage loyal des données.
Mohamed Outerrqiss, Chef de service du contrôle des pratiques commerciales, Ministère de l’Industrie et du Commerce
La Loi n° 31-08 : Un Rempart contre les Abus pour les Consommateurs en Ligne
La Loi n° 31-08 constitue un véritable rempart contre les abus pour les consommateurs en ligne. Elle impose des obligations claires aux fournisseurs et consacre des droits importants pour les consommateurs. L’un des droits les plus importants reconnus aux consommateurs est le droit de rétractation, qui leur permet de se rétracter dans un délai de 7 jours à compter de la réception du produit, sans avoir à justifier leur décision ni à payer de pénalités.
Cependant, si le fournisseur ne satisfait pas à l’obligation de confirmation contractuelle, le délai de rétractation est étendu à 30 jours. La loi impose également plusieurs obligations aux fournisseurs, notamment l’affichage clair des informations précontractuelles, incluant l’identité du vendeur et ses coordonnées, ainsi que l’information sur le prix total du produit, y compris les frais annexes éventuels.
Pour bénéficier de ces droits, les consommateurs doivent être conscients de leurs droits et des obligations des fournisseurs. En effet, il est essentiel qu’ils prennent connaissance des conditions générales de vente et des informations précontractuelles avant de faire un achat en ligne. En appliquant cette loi, nous pouvons créer un environnement commercial plus sûr et plus transparent pour tous.
- Jaouad Dabounou (FMDC)
Face à l’IA, le consommateur est en déséquilibre
En tant qu’acteur associatif, quelle est aujourd’hui votre principale inquiétude concernant la protection du consommateur?
Avec l’intelligence artificielle et les plateformes numériques, nous avons basculé d’une relation simple vendeur-acheteur à un système complexe où les traces laissées par les consommateurs sont exploitées par des algorithmes. Ces systèmes créent des profils, analysent des comportements et, parfois, revendent ces données. Cela dépasse largement l’intention initiale de l’achat.
Vous parlez d’un déséquilibre. Pouvez-vous préciser?
Oui, le rapport entre fournisseur et consommateur est devenu profondément asymétrique. Le fournisseur dispose d’une puissance algorithmique, d’une capacité d’analyse et de ciblage bien supérieure. Le consommateur, lui, n’a plus que le droit d’acheter — ou non. Il est souvent seul face à des technologies qui exploitent ses faiblesses, parfois à son insu.
La loi ne protège-t-elle pas le consommateur dans ce contexte?
Les lois évoluent, bien sûr. Le droit à la rétractation, par exemple, existe. Mais cela ne suffit pas. Ce qui manque cruellement, c’est un consommateur averti, capable de comprendre les enjeux numériques. La technologie évolue vite, et le citoyen n’est pas formé à suivre.
Face aux Décisions prises par des IA, comment les consommateurs peuvent-ils faire valoir leur droit à l’explication?
C’est un droit fondamental, mais difficile à faire valoir. En effet, lorsque je demande un crédit à une banque ou une assurance, et que celle-ci prend une décision en s’appuyant sur des algorithmes et de l’intelligence artificielle, j’ai le droit de demander une explication. Mais parce que ces technologies sont souvent opaques, les fournisseurs ne peuvent pas toujours me fournir une explication claire.
Cela pose un grand problème, car la majorité des clients ne savent même pas qu’ils ont le droit à une explication. Il y a également un aspect culturel à prendre en compte : au Maroc, les consommateurs ont tendance à se sentir faibles face aux grands fournisseurs, ce qui les empêche de faire valoir leurs droits. Ainsi, le consommateur moyen perd un de ses principaux droits, qui est le droit à l’information et à l’explication.