ENSEIGNEMENT LE GRAND RETOUR AU SYSTÈME PUBLIC?

FACE À LA DÉFAILLANCE DE L’ÉCOLE PUBLIQUE, LA CLASSE MOYENNE SE TROUVE OBLIGÉE DE RECOURIR AUX SERVICES DU SECTEUR PRIVÉ À LA RECHERCHE D’UN ENSEIGNEMENT DE QUALITÉ POUR SES ENFANTS. AVEC UN POUVOIR D’ACHAT EN BERNE EN CES TEMPS DIFFICILES, C’EST LA MIGRATION VERS LE PUBLIC NON SANS ENTRAVES!
Au Maroc, c’est connu. «L’école publique est réservée aux enfants des familles défavorisés. Quant aux classes moyennes, elles optent pour l’enseignement privé. Au moment où les familles les plus aisées, choisissent l’enseignement étranger pour la scolarisation de leurs enfants », explique Salaheddine Nabigha, enseignant chercheur et directeur pédagogique d’une école supérieure à Casablanca.
Et si la classe moyenne recourt aux services du privé c’est à la recherche d’un enseignement de qualité pour leurs enfants. Et les statistiques publiées par le CESE en 2018 confirment ce constat. Pour l’enseignement primaire, le taux des inscriptions aux écoles privées est passé de 15,2% lors de la rentrée scolaire 2014- 2015 à 16,8% pour l’année scolaire 2017- 2018. Le Conseil estime que, dans un contexte de scepticisme quant à l’avenir de l’école publique, l’enseignement privé a toutes les chances de voir sa part s’accroître davantage dans les prochaines années. Sauf que le Covid est passé par là !
Ainsi, «cette rentrée scolaire a été marquée par une contraction de la demande de 30 à 40% dans le secteur de l’enseignement supérieur privé », lance Nabigha. Cette contraction est attribuée naturellement à l’effet Covid-19. «Cette crise sanitaire a impacté fortement le pouvoir d’achat d’une large frange de la population dont certains ont perdu tout simplement leurs sources de revenus », explique Salaheddine Nabigha qui évoque aussi l’effet du distantiel. «Avant la rentrée, il y avait une affluence des parents pour se renseigner auprès des écoles sur l’offre proposée. Mais dès la déclaration du reconfinement partiel dans certaines villes et l’adoption du distantiel, il y a eu beaucoup de désistements de la part des parents qui n’ont pas confiance tout simplement en ce mode d’enseignement », déclare t-il.
Même constat dans le secteur de l’enseignement privé primaire et secondaire. Noureddine Akkouri, président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves parle même d’une migration groupée du privé vers le public. La preuve : «A Casablanca 20.000 élèves ont quitté le privé. A Marrakech, plus de 12.000. Et toutes les villes sont concernées par le phénomène », nous confie t-il.
Akkouri explique que le privé attire une minorité de ménages de fonctionnaires, une grande frange de professionnels opérant dans le secteur des services, formel et informel et une troisième catégorie dans le tourisme avec toutes ses sous-activités annexes.
La majorité des ces profils sont en difficulté aujourd’hui à cause de cette crise sanitaire.
Et s’ils ont quitté le privé, ce n’est pas pour un problème de qualité de prestation, mais parce qu’ils n’arrivent plus à payer le service.
S‘ADAPTER AU CONTEXTE
En effet, face à la forte demande, les écoles privées ont eu comme un réflexe pavlovien d’augmenter continuellement leurs prix! Certains établissements revoient chaque année leurs prix à la hausse et imposent de nouveaux frais (inscription, adhésion, tests…). Ainsi, selon les chiffres du HCP, le coût de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire a augmenté de plus de 20% entre 2013 à 2017.
«Cette situation alourdit les charges des ménages de la classe moyenne dont certains se trouvent obligés de s’endetter pour payer la scolarité de leurs enfants », assure Noureddine Akkouri. Et si pour cette année, l’enseignement supérieur, comme l’affirme, Salaheddine Nabigha, a opté pour une politique de réduction de tarifs, de facilités de paiement…ce n’est pas le cas pour certaines écoles du primaire et secondaire.
« Malgré la crise qui a provoqué une baisse au niveau du taux acquittement pour les mois de mars, avril, mai et Juin, beaucoup d’écoles ont augmenté encore leurs frais d’inscriptions pour cette rentrée », regrette Akkouri pour qui les concernés ne sont pas conscients de la gravité de la situation. «Si les écoles continuent d’adopter une telle stratégie, elles vont finir par fermer leurs portes », déclare t-il. Avant de poursuivre : «il est dans l’intérêt de ces établissements de prendre en considération le contexte actuel et la situation financière des parents s’ils veulent assurer leur survie ».
CE QUE PRÉCONISENT LES PROFESSIONNELS
Pour faire face à ces dysfonctionnements et aider les parents à choisir l’établissement qui correspond à leurs bourses, les professionnels proposent une série de mesures. Dans l’enseignement supérieur, Salaheddine Nabigha appelle à une régularisation sur la base d’une labellisation des écoles. Ce type d’évaluation va permettre aux parents d’indexer les prix aux labels qui sont octroyés en fonction de la qualité (taux d’insertion professionnelle, reconnaissance des diplômes…). Même recommandation ou presque du président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves pour le primaire, secondaire et lycée. Sauf que cette fois, la classification selon lui doit se faire sur la base de critères différents. «Il faut fixer les tarifs (inscription, transport, cantine…), en fonction de la situation géographique de l’école, le pouvoir d’achat sectoriel…ça d’une part. D’autre part, Noureddine Akkouri ajoute que pour alléger les parents des charges scolaires, il faut introduire la déductibilité fiscale d’une partie ou de la totalité des frais de scolarité dans le privé du revenu imposable.
«En choisissant le privé, les parents ont libéré une place dans le public. Et donc autant prendre cela en considération et leur restituer l’impôt», préconise t-il.
L’ALERTE DU CESE
Dans sa contribution à l’élaboration du nouveau modèle de développement, le CESE reconnait la co-existence de deux « systèmes » d’enseignement, le public et le privé, qui ne s’installent pas en complémentarité, favorise le creusement des inégalités sociales.
Mais il tient à souligner que seuls les ménages ayant des ressources suffisantes peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants dans les écoles privées assurant un minimum de qualité des apprentissages.
« En outre et eu égard à l’hétérogénéité de l’offre scolaire privée, la qualité de l’enseignement dispensé aux élèves est fortement corrélée aux capacités financières de leurs parents, ce qui est de nature à entretenir l’inégalité des chances, tout en augmentant la vulnérabilité et le surendettement des ménages modestes et ceux de la classe moyenne », alerte le CESE.