RURAL UNE ÉMERGENCE DANS LA DOULEUR!

SÉCHERESSE, ÉROSION DES EMPLOIS AGRICOLES…LA CLASSE MOYENNE RURALE PEINE À ÉMERGER. AUJOURD’HUI AVEC LA COVID, LA SITUATION EST ENCORE PLUS ALARMANTE.
Dans son discours du 12 octobre 2018 prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’année législative, le Roi Mohammed VI avait appelé à la consolidation des acquis réalisés dans le secteur agricole et à la création de nouvelles activités génératrices d’emplois et de revenus, notamment en faveur des jeunes en milieu rural.
L’Objectif est de favoriser l’émergence et le renforcement d’une classe moyenne agricole, et d’en faire un facteur d’équilibre et un levier de développement socioéconomique.
D’après l’étude sur les classes moyennes du HCP, la classe moyenne rurale compte en effet quelques 6 millions de personnes et représente près de 37% du total de la classe moyenne nationale. La même étude note que cette classe dispose d’un revenu mensuel de 4.219 DH contre 4.402 en milieu urbain.
Mais aujourd’hui, « la classe moyenne rurale est une classe pauvre avec quelques moyens et vit un moment extrêmement difficile. Les deux années consécutives de sécheresse ont épuisé l’agriculteur et l’entrepreneur rural. Et la covid-19 est venue laminer cette classe un peu nantie de la campagne», déclare non sans amertume Hamid Faridi, entrepreneur agricole agriculteur et expert en marketing.
LA COVID M’A TUER !
D’après lui, « en raison de cette crise sanitaire, les petits exploitants agricoles se sont retrouvés sans ressources humaines ». Et il semble que le programme d’appui et soutien de la population défavorisée a eu un effet indésirable à ce niveau. «Alors qu’ils étaient habitués à être payés à la semaine avec des salaires ne dépassant pas les 300 ou 400 dirhams, les ouvriers ont pu toucher des indemnités avec des montants jugés importants. Donc, ils ont abandonné leur travail et certains n’ont repris qu’après trois semaines. Cette situation a donc impacté lourdement
les activités de la classe moyenne entrepreneure du monde rural », explique Faridi.
Aussi, l’entrepreneur estime que le confinement imposé à l’urbain était logique. Mais dans le rural, le choix n’était pas judicieux. «L’activité s’est arrêtée totalement dans ces régions. Et la classe moyenne qui compte aussi bien l’épicier du quartier, l’instituteur, le petit exploitant rural… a pris un coup fatal et ne voit plus le bout du tunnel aujourd’hui», nous confie Faridi.
Le maintien de Aid Al Adha, n’a pas eu l’effet escompté comme l’assure Faridi. D’après lui, « l’annonce faite par le ministère de l’agriculture d’une offre de bétail qui dépassait la demande, a fait beaucoup de mal au monde rural et à la classe moyenne. Les éleveurs se sont empressés de liquider leur troupeau pour découvrir à la fin qu’il n’y pas de problème de surplus. Et donc ce sont les intermédiaires qui en ont profité finalement ». Aujourd’hui c’est le début de la saison agricole. Et le constat de Hamid Faridi est alarmant : plus des 2/3 des terres agricoles ne sont toujours pas labourés en raison de manque de moyens… Et là, ce n’est pas uniquement le Coronavirus qui est en cause. «C’est un cumul », juge Faridi pour qui « le Plan Maroc Vert a fait du mal à la classe moyenne rurale. Et a engagé les petits exploitants agricoles issus justement de cette classe dans de dépenses et des crédits qu’ils peinent à rembourser aujourd’hui. L’étau se resserre sur eux, et ils vendent à perte vu l’absence d’une vision de marchés pour la commercialisation de leur production ».
DES PISTES DE SOLUTIONS
Comment s’en sortir ? Dans sa contribution à l’élaboration du nouveau modèle de développement, le CESE confirme le constat de difficultés vécues dans le secteur agricole.
«Ce secteur, qui fait vivre 80% de la population rurale, fait face aujourd’hui à plusieurs contraintes qui entravent son développement. Il s’agit notamment de l’ouverture du secteur à la concurrence internationale, la sécheresse récurrente, la complexité du foncier agricole, le manque de qualification de la main d’oeuvre engendré par le départ des jeunes ruraux les plus qualifiés et instruits vers la ville et la faible diversification des activités hors agriculture ».
Aussi, le CESE préconise l’installation des activités manufacturières dans le monde rural pour d’une part améliorer l’intégration sectorielle, et d’autre part, favoriser la création d’emplois en faveur des jeunes ruraux. Il appelle par ailleurs à la transformation des centres ruraux en pôles de développement économique où se concentrent les services publics de base, les activités agricoles, industrielles et touristiques en vue d’absorber les flux de l’exode rurale, de stimuler la création de l’emploi et de favoriser l’émergence d’une classe moyenne rurale.
DES PERTES D’EMPLOIS À LA PELLE !
Une étude publiée par la Banque Mondiale en 2018 montre que l’emploi agricole au Maroc a régressé à une cadence annuelle de l’ordre de 0,5%, et à l’avenir, les destructions d’emplois devraient se poursuivre, voire s’accélérer en milieu rural, nombre de jeunes ruraux, pourtant éduqués, étant enclins à quitter leurs terres et leurs familles pour chercher désespérément du travail dans les villes. En effet, d’après la dernière note de conjoncture de la DEPF, le taux de chômage s’est établi à 12,3% durant le deuxième trimestre 2020, un niveau historique jamais réalisé depuis 2004.
Ce taux s’est situé à 7,2% en zones rurales contre 3% l’année dernière. Durant la période marquée par le prolongement du confinement total jusqu’au 11 juin 2020, le volume de l’emploi a enregistré une perte de 589.000 postes, résultant surtout d’une baisse de 520.000 postes en milieu rural. Toujours selon la DEPF, l’emploi rémunéré aurait canalisé 264.000 des postes perdus au niveau national (-31.000 postes en milieu urbain et -233.000 en milieu rural). Quant à l’emploi non rémunéré, il s’est contracté de 325.000 postes, résultat d’une perte de 38.000 emplois en zones urbaines et de 287.000 en zones rurales. Cette évolution aurait concerné tous les secteurs d’activité, notamment en particulier l’agriculture, forêt et pêche avec 477.000 postes en moins. «Des centaines d’emplois ont été détruits lors de cette crise sanitaire », conclut Hamid Faridi.