SOS, LA CLASSE MOYENNE AGONISE !

PERTE DE REVENUS, BAISSE DU POUVOIR D’ACHAT, CHARGES ALOURDIES… LA SITUATION ET LES PERSPECTIVES SONT GRISES POUR LA CLASSE MOYENNE AU MAROC. DÉJÀ VULNÉRABLE ET FRAGILISÉE, LE COVID-19 L’INSTALLE DÉFINITIVEMENT DANS LE DOUTE.
La classe moyenne au Maroc est aujourd’hui dans le pétrin.
Les histoires des ménages déclassés, basculant brusquement dans la misère, se suivent et se ressemblent.
C’est le cas de ce traiteur de renommée à Fès qui n’avait d’autre choix que de vendre des légumes dans la rue. Ou encore ce cadre supérieur
à Casablanca qui, suite à la réduction de son salaire, n’arrive plus à payer sa traite bancaire immobilière, ni à faire face aux charges de scolarité de ses enfants dans le privé. Sa femme, elle, a simplement perdu son travail. Ils étaient obligés de rejoindre le foyer des parents avec leurs deux enfants, mettre leur appartement en location et inscrire leurs enfants dans l’enseignement public ! Ces histoires esquissent le visage de la crise qui
s’abat actuellement sur la classe moyenne marocaine. Dans sa note stratégique sur l’impact social & économique de la crise du covid-19 au Maroc, le HCP note qu’en raison de la crise économique et sociale déclenchée par le virus, la proportion des personnes « vulnérables à la pauvreté » et/ou « pauvres » pourrait passer de 17,1% de la population en 2019 à environ 19.87% en 2020, soit 1,058 millions de personnes additionnelles. Et les nouvelles estimations de la Banque mondiale,basées sur le revenu par habitant, indiquent que l’incidence de la pauvreté pourrait atteindre 6.6% en 2020.
UN TAUX DE CHÔMAGE HISTORIQUE
« Il faudrait s’attendre à une hausse du nombre de chômeurs en cette période. La classe moyenne étant aujourd’hui constituée majoritairement de salariés et personnes issues de professions libérales qui sont dans une situation vulnérable. Il y a en effet risque d’installation dans une pauvreté extrême», alerte Driss Effina, économiste et président du Centre indépendant
des analyses stratégiques.
La dernière la note de conjoncture publiée par la direction des études et des prévisions financières (DEPF) enfonce le clou. Les chiffres du marché de travail lors du second trimestre de l’année, font état d’une perte de 589.000 emplois dont 520.000 signalés en milieu rural contre une création annuelle moyenne de 64.000 postes au cours des trois dernières années.
L’emploi rémunéré a canalisé 264.000 des postes perdus au niveau national (-31.000 postes au milieu urbain et -233.000 au milieu rural). Quant à l’emploi non rémunéré, il s’est contracté de 325.000 postes, recouvrant une perte de 38.000 emplois en zones urbaines et de 287.000 en zones rurales.
Cette évolution a concerné l’ensemble des secteurs d’activité, notamment l’agriculture, forêt et pêche (-477.000 postes), les services (-30.000 postes), l’industrie y compris l’artisanat (-69.000 postes) et, dans une moindre mesure, le BTP (-9.000 postes). Par conséquent, la DEPF note que le taux de chômage a atteint durant le deuxième trimestre 2020, 12,3%, en augmentation de 4,2 points par rapport à l’année précédente soit un pic historique jamais atteint depuis 2004.
Cette augmentation du taux chômage a été enregistrée exclusivement parmi les personnes ayant déjà travaillé. Les catégories les plus touchées sont les 15 à 24 ans (+11,2 points à 33,4%), les diplômés (18,2%) et les femmes (15,6%).
COUP DUR POUR LE POUVOIR D’ACHAT
En conséquence, au lieu de remplir sa vocation de moteur de la croissance, la classe moyenne est aujourd’hui obligée de réduire son train de vie et ses ambitions de consommation. Ainsi, les personnes issues de cette classe réduisent sensiblement leurs dépenses par manque d’argent ou pour pouvoir faire face aux aléas de la crise. «Il y a une régression du pouvoir d’achat généralisée en ce moment. Qui dit baisse de pouvoir d’achat, dit automatiquement baisse de la consommation. Ceci va donc impacter et retarder les décisions d’achats de biens durables (voitures, logement, équipements…) jusqu’à ce que la vision soit plus claire. Aussi, le coronavirus va certainement impacter l’épargne des ménages. Puisque généralement, les personnes font appel les moments de crise à leur petite épargne surtout ceux qui ont vu leurs salaires diminuer, ou ont perdu totalement leur emplois» analyse Effina.
Même son de cloche de la part de l’économiste et universitaire Kamal Mesbahi. D’après lui, les perspectives d’évolution de la pandémie et de l’économie vont pousser les gens à réduire encore plus leur niveau de consommation et privilégier l’épargne.
LE MORAL DANS LES CHAUSSETTES
Les résultats de l’enquête de conjoncture du HCP menée auprès des ménages montrent que la confiance des ménages s’est fortement dégradée au deuxième trimestre de 2020, marqué par la crise sanitaire du Covid-19. L’indice de confiance des ménages s’est ainsi établi à 65,6 points, au lieu de 75,7 points enregistrés le trimestre précédant et contre 74,9 points une année auparavant, soit le plus bas depuis le début de l’enquête en 2008.
Au deuxième trimestre de 2020, 50,3% des ménages déclarent une dégradation du niveau de vie au cours des 12 derniers mois, 24,2 % un maintien au même niveau et 25,5% une amélioration. Autre chiffre révélateur : 76,1% contre 8,1% des ménages considèrent que le moment n’est pas opportun pour effectuer des achats de biens durables. La situation est davantage critique pour ce qui est du pouvoir d’achat. En effet, au deuxième trimestre de 2020, 61% des ménages estiment que leurs revenus couvrent leurs dépenses, 34,5% déclarent s’endetter ou puiser dans leur épargne et 4,5% affirment épargner une partie de leur revenu. Quant à l’évolution de leur situation financière au cours des 12 derniers mois, 38% contre 11% des ménages considèrent qu’elle s’est dégradée. Sur le volet épargne, seul 14,8% des ménages s’attendent à épargner au cours des 12 prochains mois.
SURENDETTEMENT ET IMPAYÉS
Pour faire face à la baisse des revenus couplée à la faiblesse de l’épargne, l’endettement paraît comme une solution inévitable.
En effet, dans son Rapport annuel 2019 sur la supervision bancaire, Bank Al-Maghrib a relevé que l’endettement des ménages est en croissance de 5,1% sur un an, atteignant en 2019, 358,6 milliards de DH.
Dans le détail, le crédit à la consommation pèse 37% de l’endettement des ménages celui de l’habitat constitue 63%. Par ailleurs, le montant
moyen des prêts est de 391.000 DH, en baisse de 7.000 DH sur un an. De leur côté, les crédits à taux fixe représentent 95% de l’encours et 98% de la production, alors que les crédits de plus de 20 ans comptent pour 58% du total, ceux compris entre 10 et 20 ans, pour 35%. Quant à l’encours des
crédits à la consommation, il a atteint 132 milliards de DH, soit une hausse de 7,4%, après 7% en 2018.
La Banque Centrale a par ailleurs estimé les crédits de plus de 5 ans à 75% du total, ceux de moins de 3 ans à 5%, précisant que les prêts personnels
constituent toujours le type de crédit le plus utilisé par toutes les tranches d’âge avec une part de 70%, pendant que les cartes revolving représentent 7% de crédits contractés par les plus de 50 ans et seulement 1% par les moins de 30 ans.
«Bon nombre de marocains vont s’endetter en faisant appel au système bancaire pour améliorer leur situation financière. Ceci pourrait engendrer des risques de surendettement pour certains ce qui fait craindre aux banquiers une augmentation des impayés dans les prochains mois », prévient Effina.
En effet, à fin juillet, l’encours des créances en souffrance s’est dégradé
de 10% depuis le début de l’année et de 14% en glissement annuel. Les impayés des ménages affichent même une hausse à deux chiffres avec un
total de 32,8 milliards de DH.
Les estimations de la Banque Centrale en juin 2020 laissent entrevoir une dégradation du taux de défaut à 9,9% en 2020 puis à 10,8% en 2021.
«Le système bancaire connaîtra certainement des perturbations du fait de la montée, inévitable, de la sinistralité », alerte le Centre Marocain de Conjoncture.
En gros, « la détérioration de la situation de la classe moyenne devrait accentuer la pauvreté dans le Royaume, d’autant plus que l’économie
marocaine est basée essentiellement sur la demande intérieure qui, elle-même, est animée, en grande partie, directement ou indirectement, par la classe moyenne », conclut Youssef Oubouali, expert en droit fiscal.
Faut-il faire un dessin ?!