Aïd Al-Adha : la flambée des abats contredit l’appel royal à la modération

À une semaine de l’Aïd Al-Adha, les marchés marocains s’enflamment, non pas autour du mouton en entier, mais de ses parties les plus prisées : les abats. Cette envolée spectaculaire des prix met en lumière un paradoxe troublant, quelques mois après une décision royale destinée à soulager les ménages et protéger un cheptel déjà fragilisé.
Bouazza Kherrati, figure de proue du mouvement consumériste marocain, n’hésite pas à parler de « schizophrénie collective ». Selon lui, la dynamique actuelle autour de la viande ovine illustre une dissonance entre l’esprit de la décision royale — qui dispense les fidèles du sacrifice cette année — et les comportements sur le terrain. Résultat : une pression inédite sur les prix et les éleveurs.
Les derniers relevés de Casablanca Prestation confirment cette tension. Si la viande bovine ne connaît qu’une légère hausse, la viande ovine, elle, s’envole. Le kilo de mouton, en gros, est passé d’une fourchette de 65-105 dirhams à 95-110 dirhams en une semaine seulement. Une variation brutale, qui illustre l’ampleur de la spéculation.
Mais c’est du côté des abats que la dérive atteint son paroxysme. Très demandées en cette période, ces parties autrefois considérées comme secondaires sont aujourd’hui au cœur d’une fièvre spéculative. Dans les campagnes, leur prix avoisine les 300 dirhams. En milieu urbain, certains acheteurs n’hésitent pas à débourser jusqu’à 900 dirhams pour les obtenir. Une situation exacerbée par la multiplication des intermédiaires, qui contribuent à entretenir la surenchère.
Pour les défenseurs des consommateurs, cette frénésie n’est pas anodine. Elle compromet les efforts de sauvegarde du cheptel, car elle encourage l’abattage précipité, y compris des femelles, ce qui est en totale contradiction avec la volonté royale de reconstitution. Rappelant que chaque abat vendu correspond à un mouton tué, Kherrati tire la sonnette d’alarme : l’obsession actuelle risque de saboter des années de travail et de fragiliser encore plus une filière déjà éprouvée par six années de sécheresse.
Dans un contexte de vulnérabilité climatique, s’abstenir de sacrifier devrait être perçu comme un acte de civisme. C’est dans cette logique que les associations de consommateurs ont lancé une campagne de sensibilisation baptisée « Aïd sans immolation ». L’initiative, relayée sur les réseaux sociaux et dans les médias, vise à rappeler que la décision royale n’était pas un simple conseil, mais une mesure de sauvegarde collective.
Sur le plan religieux également, les justifications manquent. « Le sacrifice ne vaut que le jour de l’Aïd. En dehors de ce cadre, il s’agit d’une aumône, sans valeur spirituelle spécifique », explique Kherrati. Pour lui, aucune urgence ni justification rationnelle ne peut expliquer l’actuelle flambée, sinon une forme de fétichisation du geste sacrificiel.
Le point de vue est partagé sur le terrain. Mohamed, boucher dans la médina de Casablanca, se veut rassurant. « Il y aura de la viande jusqu’à vendredi, veille de l’Aïd. Pas besoin de se précipiter et de payer deux fois plus. » Un appel au bon sens que peu semblent entendre.
Car au fond, la racine du problème se situe dans les comportements de consommation. En s’empressant d’acheter, les Marocains participent eux-mêmes à la hausse des prix. Une spirale inflationniste qu’ils pourraient briser, en faisant simplement preuve de patience et de responsabilité.
Faut-il dès lors envisager des mesures plus coercitives ? La question se pose avec acuité : la décision royale a-t-elle force de loi ? Et si oui, que faire des contrevenants ? Alors que l’Aïd approche, le débat est désormais ouvert.
Avec H24info