Pesticides dans les assiettes: sommes-nous bien protégés ?
Effets néfastes sur l’environnement, impacts nocifs sur la santé des agriculteurs et celle des consommateurs… les pesticides épandus dans les champs marocains font l’objet de nombreuses polémiques et suscitent l’inquiétude. Consonews fait le point pour démêler le vrai du mythe.

Thé en provenance de Chine avec d’importantes quantités de résidus de pesticides, lait en poudre pour nourrisson non conforme aux normes sanitaires, retrait d’un lot de poivrons marocains du commerce allemand pour excès de pesticides, menthe toxique…Plusieurs affaires de produits « toxiques » et impropres à la consommation ont défrayé la chronique ces dernières années.
En 2018, le nombre de matières actives en commercialisation au Maroc est estimé à 379 avec 5179 produits et 1316 formulations. 1845 pesticides enregistrés sont destinés aux cultures légumières, 686 aux cultures fruitières, 458 pour les céréales, 447 pour les agrumes…Près de 19 cultures tels que les agrumes, les blés, la pomme de terre, le pommier, l’olivier, le poivron…utilisent plus de 50 types de pesticides. La Tomate est considérée comme la culture où on utilise le plus de pesticides au Maroc avec 758 types classés selon leur niveau de toxicité !
DOSAGE EXCESSIF
En effet, la plupart des affaires de produits toxiques qui ont fait la polémique au Maroc comme ailleurs sont souvent liées à la détection de résidus. C’est-à-dire, ces produits contiennent des teneurs en pesticides supérieures à la «limite maximale de résidus» (LMR), la valeur seuil de toxicité fixée par les autorités de santé. «L’utilisation des pesticides et autres traitements phytosanitaires ou fongiques est souvent anarchique et sans respect de dosage, à défaut d’encadrement et de sensibilisation. Personne n’est aujourd’hui à l’abri de ces dangers cachés dans nos assiettes », alerte Bouazza Kherrati, Président de la FMDC. Avant d’ajouter «les produits exportés sont soumis à un contrôle strict, et malgré cela il y a quelques fuites comme
le cas des poivrons exportés vers l’Allemagne.
Au niveau du marché local, les moyens ont insuffisants pour contrôler les produits alimentaires.
Il n’y a qu’un seul laboratoire qui a le droit de procéder à des analyses des pesticides, LOARC à Casablanca. C’est aberrant ! Dans les champs, le registre des pesticides n’est pas généralisé et on note un manque de traçabilité».
L’ONSSA, qui assure l’homologation des pesticides ainsi que le contrôle sur le terrain de la distribution et la vente de ces produits, note par la voix de l’un de ses responsables, que « tous les produits agro-alimentaires que nous consommons contiennent des pesticides qui ne présentent aucun danger cancérogène ou autre sur la santé humaine. Une source bien informée ajoute qu’il ya eu beaucoup de désinformation sur le sujet, mais ne nie pas qu’il y a des failles au niveau du marché de gros où il y a un problème flagrant de traçabilité, et au niveau de quelques petites exploitations appartenant à des petits agriculteurs qui ne respectent pas le dosage prescrit ou recours à des substances non adéquates avec la nature de la culture. Toutefois, «Des prélèvements sont effectués régulièrement par exemple au niveau du marché de gros. En cas d’une anomalie, nous nous trouvons face à un problème de traçabilité, dont la responsabilité incombe entièrement aux communes. Dans ce cas, difficile de repérer la source de l’anomalie, comme c’était le cas pour la menthe il y a quelques temps. L’ONSSA a donc été obligé d’effectuer des plans de contrôle au niveau des champs et a interdit l’entrée de ce produit sur le marché des légumes et fruits à Casablanca et dans d’autres régions», rassure le représentant de l’ONSSA.
Sur le terrain, les études sont rares. Quelques enquêtes effectuées par des chercheurs dans certaines régions permettent de cerner tant bien que mal la problématique. Ainsi en est-il des conclusions d’un travail élaboré par quatre chercheurs de l’université Mohammed Id’Oujda et de l’office municipal de santé publique de Berkane et publiée dans la revue Environmental Analysis Health and Toxicology du mois de février 2021 et elles sont pour le moins alarmantes.
Abdelhafid Chafi, l’un des auteurs de l’étude (aujourd’hui directeur général de l’EST d’Oujda) note que la majorité des agriculteurs de maraîchages notamment les producteurs de la pomme de terre, de la betterave et de tomates (cerises) ne respectent pas les doses recommandées et indiquées sur les bouteilles. « Cela revient à l’idée préconçue des agriculteurs que l’augmentation de la dose augmente l’efficacité du traitement. Néanmoins, peu d’agriculteurs, particulièrement les agrumiculteurs respectent les doses prescrites et recommandées. Ceci résulte du niveau d’instruction et de formation des techniciens employés d’une part et la nécessité de respecter les limites maximales de résidus sur agrumes destinés à l’exportation d’autre part », note t-il. Risques ? Naima Rhalem, chef de département de toxicovigilance au sein du centre Anti-poison et de Pharmacovigilance relevant du ministère de la santé, prévient que le risque est avéré lorsque plusieurs aliments contiennent des résidus qui dépassent les doses limites. « Les substances chimiques additionnées les unes aux autres pourraient engendrer des effets néfastes sur la santé surtout que plusieurs pesticides sont considérés comme des perturbateurs hormonaux, d’autres sont cancérigènes, certains peuvent même entrainer la transformation du sexe du bébé chez la femme enceinte…», explique t-elle.
DÉLAI DE SÉCURITÉ NON RESPECTÉ
Avant la récolte, les agriculteurs sont tenus de respecter un délai de rémanence.
Or, d’après Chafi , dans la région de l’Oriental par exemple, ce délai de sécurité n’est pas toujours respecté par les agriculteurs notamment les producteurs de la pomme de terre par exemple. Il varie entre 2 à 5 jours. Seuls 20% d’entre eux ont respecté un délai de 15 jours avant récolte. «les résultats sont valables pour la majorité des régions agricoles au Maroc », assure Chafi.
Pour Bouazza Kherrati, la négligence de ce facteur délai peut être expliquée par l’ignorance de la nécessité de se plier aux instructions prescrites, et aussi par la volonté d’écouler rapidement les produits, surtout en cas de hausse de prix sur le marché. Pire encore, Chafi révèle qu’en plus de ce
délai non respecté, beaucoup d’agriculteurs utilisent les eaux usées brutes pour l’irrigation. «Ces eaux doivent normalement être traitées
au niveau d’une station d‘épuration avant utilisation. Mais, malheureusement, nous avons remarqué lors de notre enquête que certains agriculteurs
interceptent les eaux usées en installant des et les utilisent pour l’irrigation des produits qu’on retrouve au niveau du marché », déplore t-il. Même son de cloche de la part de Naima Rhalem qui évoque la problématique du passage des pesticides au niveau de la nappe phréatique et la possibilité de consommer l’eau contaminée des puits et l’utiliser pour l’irrigation. Pour limiter les risques, les différents intervenants sollicités par Consonews pour la préparation de ce dossier sont unanimes : une éducation à la sécurité des pesticides est nécessaire pour induire un comportement protecteur chez les agriculteurs et empêcher le résidu de pesticides dans les denrées alimentaires.
LES AGRICULTEURS, PREMIÈRE LIGNE DE DÉFENSE
Former les agriculteurs au bon usage des pesticides semblent être l’une des mesures les plus indispensables à adopter pour enclencher une protection du consommateur final contre les pesticides. Cette urgence est d’autant plus justifiée que nombre d’entre eux semblent un comportement ambivalent à l’égard de ces poisons légaux ! En effet, d’après les résultats de la recherche effectuée au sein de l’université Mohammed I d’Oujda, «il est plausible d’affirmer que la plupart des agriculteurs de cette enquête n’accordent pas une grande importance aux facteurs environnementaux et de santé humaine lorsqu’ils appliquent des pesticides». Pour cause, si «la majorité des agriculteurs de la zone d’étude considèrent les pesticides comme un produit toxique, qui peut avoir des effets néfastes sur l’environnement et la santé humaine, cela n’a pas eu un impact positif sur l’usage de pesticides contrairement aux attentes». Autre constat : de nombreux agriculteurs ne connaissaient pas les pictogrammes standards utilisés sur les étiquettes des pesticides.
Naima Rhalem du centre anti-poison estime que le manque d’information, voire la désinformation, auxquels s’ajoute le manque de formation sur l’emploi de ces produits (mésusage), sont parmi les causes principales des problèmes que posent les pesticides au Maroc comme dans la plupart des pays en voie de développement.Analyse partagée par Kherrati qui affirme que l’utilisation des produits phytosanitaires nécessite un minimum de connaissances théoriques et pratiques pour minimiser le risque toxique et écotoxique qui en résulte, non seulement pour les agriculteurs mais aussi les vendeurs. Ce qui n’est pas toujours le cas.