Agriculture, immobilier, enseignement privé: les Gargantua des exonérations fiscales
L’agriculture, l’immobilier et l’enseignement privés, ce sont des «Obélix» tombés dans la marmite des exonérations fiscales à leur naissance. Aujourd’hui comment peuvent-ils continuer à bénéficier de ces avantages qui leur ont été accordés dans le cadre des actions des politiques économiques sachant qu’en 2018, les exonérations fiscales représentaient 3% alors que le déficit budgétaire s’élevait à 3,9%. Ces chiffres viennent d’être rappelés par une étude d’Oxfam sur les «les exonérations fiscales ; le manque à gagner: Agriculture, Immobilier, Enseignement privé ».
«Les grands agriculteurs, les opérateurs immobiliers, et les établissements d’enseignement privé représentent les plus grands bénéficiaires du dispositif d’exonérations fiscales en terme d’effectif », souligne l’étude. «L’analyse de la pertinence des exonérations fiscales octroyées aux trois secteurs a été opérée en passant au crible les principaux arguments plaidant pour le maintien du système actuel : un handicap économique en raison d’une défaillance étatique, une politique de discrimination positive, augmenter la compétitivité face à la concurrence fiscale étrangère », note l’étude. Mais pour cette dernière ces secteurs n’affichent en réalité aucune situation justifiant les dépenses fiscales qui leur sont accordées.
Évaluation de la valeur incitative des dépenses fiscales
Ainsi, le secteur immobilier, qui représente près de la moitié (47%) de la formation brute du capital fixe de l’économie marocaine, ne peut, aux yeux de l’étude d’Oxfam être considéré aujourd’hui comme un secteur devant bénéficier d’une politique de discrimination positive.
Pour sa part, l’agriculture marocaine affiche les meilleures avantages comparatifs révélés (ACR) dans la zone MENA. Ce qui selon l’étude lui procure un abri des effets de la concurrence fiscale des pays compétiteurs.
«S’agissant de l’enseignement privé, ce type d’éducation reste limité aux grandes villes et concerne moins de 16% des enfants marocains», note l’étude.
Sur un autre registre, l’étude a mis la lumière sur la valeur incitative des dépenses fiscales en immobilier, en agriculture et pour l’enseignement privé. Conclusion «la dimension fiscale est vue comme un obstacle à l’environnement des affaires uniquement via les problèmes de bureaucratie au niveau de l’administration fiscale. Aujourd’hui, l’administration fiscale est vue comme une contrainte pour près de 14% des entreprises marocaines en 2019 contre seulement 3% en 2013. Quant à la taxation, les niveaux de défiance (15%) des entreprises marocaines ne sont pas significativement supérieurs à la moyenne mondiale (13%)».
En fait, l’obstacle fiscal à l’entreprenariat peut disparaitre avec une amélioration de la relation Administration fiscale/Entreprises plutôt qu’avec des mécanismes d’exonérations fiscales. Sur ce point, l’étude montre que les exonérations fiscales n’ont pas d’impact significatif dans les décisions des entreprises d’investir ou de recruter. «La comparaison des chiffres des secteurs exonérés au secteur industriel à la fois moins exonéré et plus contraignant fait état d’un constat patent : l’arsenal incitatif colossal n’a pas donné lieu à une vague d’investissement ou de recrutement significativement supérieure en comparant les secteurs incités et ceux qui le sont moins», affirme l’étude.
Absence de corrélation entre les exonérations fiscales et les bonnes performances des secteurs étudiés
Su ce sujte, l’étude donne l’exemple de la valeur ajoutée immobilière qui enregistré une croissance de 5,5% entre 2013 et 2019 en dépit d’une baisse des exonérations de l’ordre de 40% entre les deux périodes. Au niveau de l’agriculture, les exonérations fiscales ont accompagné un processus de création de la richesse qui n’a eu qu’un faible impact sur la productivité et les conditions du travail dans le secteur. «Les exonérations fiscales pour ce secteur n’ont servi, en réalité, que pour diminuer la pression fiscale sur les profits des grands agriculteurs faisant de ce secteur une véritable niche fiscale», constate l’étude.
Effets distorsifs
Selon cette dernière, les exonérations fiscales étudiées ont été à l’origine d’impacts distorsifs sur plusieurs plans. Il s’agit du déplacement d’investissement entre l’industrie et l’immobilier. Si ce phénomène rets économiquement rationnel, cela n’empêche qu’il crée un abandon d’un secteur productif créant des emplois «stables et dignes pour des secteurs de rente et de mauvaise qualité de l’emploi». Selon les estimations de l’étude d’Oxfam, ce phénomène du mouvement d’investissement fait perdre à l l’économie marocaine annuellement de près de 1,7% de la valeur ajoutée industrielle soit près de 2,1 milliards de dirhams.
L’autre effet distorsif concerne l’orientation de l’offre de logement social des segments répondant aux besoins des citoyens vers les segments les plus rentables pour les opérateurs. «Les exonérations fiscales pour ce secteur orientent l’offre vers le logement à 250.000 DH TTC (10% des besoins exprimés) connu pour sa marge bénéficiaire 3 fois supérieure à celle du LFVI qui totalise 61% des besoins exprimés. Le logement à 250.000DH a bénéficié de 27 MMDH d’exonérations fiscales contre 1,6 MMDH pour le LFVI».
Le troisième effet distorsif rappelé par l’étude est celui du gaspillage de l’argent public et contribution à l’accentuation des inégalités. Selon le rapport d’Oxfam, le manque de la dimension régionale dans la conception des exonérations fiscales conduit à la concentration de l’offre en logement subventionné sur certaines régions alors que d’autres affichent un déficit en termes de logement social. Pour rappel, la Cour des comptes a estimé ce gaspillage de 5,79 Milliards de dirhams en termes de dépenses fiscales correspondant à une surproduction non nécessaire de 68.676 unités de logements sociaux.