Pourquoi les marques nous fascinent-elles autant ?

À New York, le 20 septembre 2024, une foule se pressait devant l’Apple Store de la 5e avenue. Comme chaque année, le lancement d’un nouvel iPhone attirait curieux, passionnés et fidèles. Ce rituel n’a rien d’anodin : il illustre à quel point une marque peut susciter une forme d’attachement presque émotionnel. Mais que cache ce lien puissant entre consommateur et marque ?
Pour le professeur de marketing Benoît Heilbrunn, la marque est bien plus qu’un simple signe distinctif. C’est un système symbolique complexe, porteur d’histoires, de valeurs et d’imaginaires. Il rappelle que l’usage des marques remonte à l’Antiquité, où les artisans utilisaient des signes pour marquer leur production. Aujourd’hui encore, cette fonction de signature reste essentielle : une marque engage un savoir-faire, promet une qualité, incarne une identité.
Mais dans un monde saturé de messages commerciaux — chacun d’entre nous étant exposé à des milliers de marques chaque jour —, la bataille se joue ailleurs : dans la capacité à rester présent à l’esprit, à créer un lien émotionnel. La généralisation du libre-service au XIXᵉ siècle a été un tournant majeur : le packaging a remplacé le vendeur, devenant une nouvelle forme de médiation. Les marques ont alors développé des figures emblématiques, comme Bibendum ou Monsieur Propre, pour combler ce vide relationnel et installer une connivence affective avec le consommateur.
Quand les marques s’invitent dans toutes les sphères de la vie
Le phénomène de marque a largement débordé le cadre de la consommation. Aujourd’hui, des clubs sportifs, des artistes, voire des figures politiques, fonctionnent comme des marques à part entière. Ce glissement, analysé notamment par le communicant Raphaël Llorca, révèle une transformation profonde : le branding devient une forme de narration du monde, y compris dans des domaines autrefois régis par d’autres logiques.
À travers leurs discours, leurs visuels, leur capacité à formuler des promesses, les marques façonnent désormais notre manière d’aimer, d’habiter, de se projeter dans le futur. Elles offrent des repères, construisent des récits qui comblent parfois le vide laissé par des institutions traditionnelles en perte de légitimité. Dans son livre La marque Macron, Llorca montre comment le président français a utilisé les codes du marketing pour incarner un projet politique, en s’appuyant non sur une idéologie figée mais sur un univers symbolique fort et cohérent.
Cette pratique n’est pas nouvelle. Dès les années 60, les campagnes électorales américaines ont été façonnées par des professionnels de la publicité, comme le raconte The Selling of the President. Les électeurs devenaient des consommateurs ; les candidats, des produits à vendre avec une promesse à tenir.
Les marques, nouveaux créateurs d’imaginaires sociaux
L’influence des marques va au-delà de l’acte d’achat. Elles participent à la fabrication de nos représentations du monde. Pour Raphaël Llorca, derrière la légèreté apparente d’un spot publicitaire ou d’un slogan, se cache un pouvoir symbolique redoutable. Ikea, par exemple, promeut un modèle précis de bonheur familial à travers la mise en scène de ses intérieurs. Aucun ami, aucun voisin : uniquement un noyau familial restreint. Un détail en apparence anodin, mais révélateur d’une vision du monde.
Les marques modèlent ainsi nos modes de vie. Tinder, selon Llorca, ne se contente pas de proposer des rencontres : il redéfinit le célibat, le transformant d’une étape transitoire en un état de vie valorisé. D’autres objets quotidiens, comme les trottinettes électriques, peuvent eux aussi véhiculer des idéologies implicites. Pour le philosophe Éric Sadin, elles symbolisent un idéal libertarien : celui d’un individu autonome, affranchi de toute contrainte sociale ou collective.
La marque : une affaire d’émotion et de sens
En définitive, ce qui lie profondément les consommateurs aux marques, c’est leur capacité à raconter des histoires, à incarner des valeurs, à s’inscrire dans des parcours de vie. Dans un monde en quête de repères, la marque n’est plus un simple outil commercial, mais un acteur culturel à part entière. Elle inspire, rassure, oriente.
Et si nous restons attachés aux marques, c’est peut-être parce qu’elles répondent à une fonction que la société elle-même peine parfois à remplir : donner du sens à nos choix, à nos envies, à nos appartenances. À travers elles, c’est une certaine idée de nous-mêmes que nous consommons.
Source: Radiofrance.fr