Édito … Inflation, ce vrai faux problème!
Qu’est ce que je ne donnerai pas pour connaître le sentiment de M. Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib, face à l’inflation actuelle, lui qui l’a toujours combattue depuis son mandat, en 1983, de ministre des Finances ou plutôt du Programme d’Ajustement Structurel ! Serait-ce un sentiment de défaite après 40 ans de guerre ?! Il est vrai que le Maroc a réussi à maintenir une inflation faible (autour de 2%) depuis au moins une décennie voire plus. Cela était dû certes à la vigilance de BAM mais aussi et surtout à la caisse de compensation. Mais aujourd’hui, en l’absence de cette caisse, la donne a foncièrement changé. Mais ce qui a le plus changé les paramètres du système est très probablement le contexte de rattrapage post-covid : il fallait pour les capitaux rattraper deux années de fermeture où la machine mondiale de création de valeur était à l’arrêt. Sauf qu’une autre machine était en train de se mettre en place, celle du virtuel. Maintenant, les deux machines sont en train de tourner à bloc avec, en prime, des prix sensiblement plus chers. L’explication du rattrapage ne peut donc fonctionner qu’en partie car il s’agit, visiblement, d’un nouveau paradigme qui est en train de s’installer durablement. Il faut dire que l’inflation au Maroc aurait été beaucoup plus grave si le dirham était totalement libre. Là encore, il faut saluer la sagesse de Jouahri et, à travers lui, celle du Maroc antique qui comprend intuitivement que la monnaie n’est pas juste un moyen d’échange et qu’elle est surtout un instrument de souveraineté.
Mais, au fond, pourquoi l’inflation est un problème, et pour qui, si elle l’est? Considérée comme étant une hausse des prix, l’inflation est certes un problème pour le pouvoir d’achat de ceux dont les revenus sont transparents et limités (la classe moyenne en gros). Mais d’un autre point de vue, considérée comme étant une perte de valeur de la monnaie, l’inflation est une énorme hantise pour les dépôts et l’épargne. Combattre l’inflation n’est donc pas juste une question de paix sociale mais c’est aussi une nécessité pour maintenir une épargne significative en monnaie nationale. Autrement, c’est, ou bien, fuite des capitaux, ou bien, épargne en formes classiques hors circuit bancaire (achat de terrain, or, etc.).
Pour Jouahri version 1983, la question était beaucoup plus simple, maîtriser l’inflation revenait surtout à protéger les réserves de change et arrêter l’hémorragie de la dette extérieure (quitte à brider, au passage, le pouvoir d’achat et brader le service public).
Mais, aujourd’hui, la dette n’est plus vraiment un problème pour l’Etat (car elle est en grande partie intérieure et, quant à l’extérieure, celle-ci est contractée davantage par les entreprises publiques que le Trésor). Aussi, face à une économie virtuelle globalisée, que peut vraiment une monnaie nationale classique (dans ce cadre, BAM s’apprête à proposer une version locale du Bitcoin) ? Quant aux réserves de change, et dans l’attente que les politiques industrielle, énergétique et agricole de substitution aux importations puissent produire leurs pleins effets, le déficit commercial est toujours aussi structurellement élevé !
Alors après 40 ans de guerre contre l’inflation, n’est-il pas temps de reconnaître que le problème était ailleurs ?!