« Le Maroc risque de perdre 30% de ses réserves d’eau de pluie d’ici 2050 »
Le Maroc est confronté à une pénurie d'eau qui va s'aggraver dans les années à venir. Pour éviter une catastrophe imminente, une stratégie d'attaque s’impose. Explications de Mohamed Sinan, expert en hydrogéologie et changement climatique.
Le Maroc vit pendant plusieurs années une période sécheresse chronique et aggravée. Quels sont, d’après-vous, les risques d’une telle situation?
Mohamed Sinan: En effet, la situation est alarmante ! Ces dernières années, le Maroc fait face une sécheresse jamais enregistrée depuis les années 80. Le manque de ressources hydriques est criant et la pénurie menace le pays, y compris les zones urbaines. En termes chiffrés, le Maroc ne dispose actuellement que de 5,48 milliards de m³de réserves, ce qui correspond à un taux de remplissage des barrages de seulement 34% contre 34.3% l’année précédente. Ce déficit a un impact sur la consommation d’eau par habitant, qui est estimée à 600 m³, un niveau inférieur à la moyenne mondiale de 1 000 m³ par habitant. Ce phénomène est appelé à persister et le Maroc risque de perdre 30% de ses réserves d’eau de pluie d’ici 2050, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur l’agriculture et le tourisme, entre autres secteurs. Face à cette situation, une stratégie d’urgence est nécessaire pour éviter la catastrophe.
Mais comment on en est arrivé là ?
La situation de sécheresse que traverse actuellement le Maroc n’est pas nouvelle, et remonte aux années 90. A cette époque, la ville de Tanger, pourtant située dans la région la plus pluvieuse du pays, était en pénurie d’eau potable. Toutefois, depuis le début des années 2000, la fréquence et l’intensité des années sèches ont augmenté au Maroc, le plaçant dans la région la plus touchée de la planète, le bassin méditerranéen. Cette zone a connu une augmentation significative de la température moyenne par rapport au siècle dernier, une tendance qui devrait se poursuivre dans les années à venir.
Quelles solutions à mettre en place pour éviter le pire ?
Il est crucial que chacun prenne conscience que l’eau est une ressource précieuse qui ne peut plus être considérée comme inépuisable. Il est inacceptable pour un pays ayant des ressources en eau limitées de continuer à déverser de l’eau dans la mer. Cependant, je suis convaincu que le changement climatique peut être une opportunité plutôt qu’une menace pour le Maroc. Comment ? Étant donné que le Maroc n’a pas de ressources en énergies fossiles, il importe la majorité de ses besoins en énergie. Dès lors, il est impératif de se tourner vers des sources d’énergie renouvelables, abondantes, gratuites et propres, telles que l’énergie solaire, éolienne et hydraulique. Si le changement climatique n’existait pas, le Maroc ne serait jamais autant intéressé par ces énergies renouvelables. Le Maroc a déjà parcouru un long chemin en ce sens, mais il est nécessaire d’accélérer le processus. En outre, il est essentiel de se pencher davantage sur les ressources en eau non conventionnelles. En plus du dessalement de l’eau de mer, la déminéralisation des eaux saumâtres doit être envisagée. Ces eaux souterraines saumâtres s’élèvent à près de 500 millions de m3 par an et l’eau déminéralisée peut être réutilisée dans divers secteurs, notamment l’agriculture. Il est également nécessaire de lutter contre les prélèvements illégaux et de réduire la culture de produits agricoles gourmands en eau. Il est temps de fournir, à chaque région, une carte d’assolement des cultures les plus adaptées et de généraliser les techniques d’économie d’eau dans le secteur agricole en particulier.
Quid du dessalement d’eau de mer ?
Le potentiel de nos 3500 km de côtes est une opportunité majeure à saisir. Cependant, notre retard sur ce volet est préoccupant. Auparavant, le dessalement d’eau de mer était très coûteux, par exemple, à Laâyoune, il fallait dépenser 50 DH pour chaque m3 d’eau produite. Heureusement, le coût de cette technologie a été divisé par 5 ces dernières années et devrait continuer de baisser pour devenir plus compétitif par rapport au coût d’un barrage. À titre de comparaison, un barrage a une durée de vie limitée (50 ans en moyenne), et la quantité d’eau qu’il produit pendant cette période est très insuffisante. En revanche, une station de dessalement produit de l’eau quotidiennement. Lorsque l’on divise le coût total de la réalisation et du fonctionnement de la station par le nombre de m3 produits sur 50 ans, le résultat est sans équivoque. De plus, le Maroc est très vulnérable à l’érosion du sol, et perd en moyenne 75 millions de m3 de capacité de stockage chaque année à cause de ce phénomène, soit l’équivalent de la capacité de stockage d’un barrage moyen. En somme, le dessalement d’eau de mer est devenu plus rentable aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas auparavant, et pourrait être une solution efficace pour faire face à la rareté de l’eau.