Rareté d’eau … L’agriculture en mauvaise passe
L’heure est grave. Le Maroc fait face à une sécheresse quasi chronique et aggravée. L’agriculture en pâtit. Afin de minimiser les dégâts, diverses solutions ont été déployées. Est-ce suffisant ?
Au Maroc, le stress hydrique s’accentue de plus en plus et les réserves en eau sont sous forte pression. Dans un rapport publié en 2022 sur l’économie marocaine, la Banque Mondiale a tiré la sonnette d’alarme. L’institution a estimé que le Royaume s’approche du seuil des pays qui vivent en situation de pénurie d’eau. « Avec 600 m3 d’eau par personne et par an – contre 2 600 m3 en 1960 –, la demande en eau dépasse largement les ressources disponibles », note le rapport.
Selon la note de la Direction générale de l’Eau, relevant du ministère de l’Equipement, des Transports et de l’Eau, les réserves de l’ensemble des barrages du Royaume se situent à plus de 5,48 milliards de m3, soit un taux de remplissage de 34%, jusqu’au mardi 11 avril 2023. L’année dernière, à la même date, le taux était de 34.3%.
Situation alarmante
Cette rareté de l’eau pèse lourdement sur le secteur agricole qui s’accapare 85 % de la consommation nationale. En moyenne, un hectare de culture nécessite entre 3.000 et 12.000 m3 d’eau par an. Pour les zones à climat tempéré, les cultures de céréales et de légumes d’hiver consomment en moyenne entre 3 000 et 4 000 mètres cubes par hectare. Cependant, pour certaines cultures fruitières et pour les cultures qui se prolongent sur plusieurs années, les besoins en eau peuvent atteindre entre 10 000 et 12 000 m3 par hectare.
Face à cette situation, il fallait faire des arbitrages. En matière d’irrigation, une politique restrictive est décrétée. Excepté le Loukkous et le Gharb, tous les autres périmètres irrigués connaissent une rationalisation draconienne des apports en eau. Il a été décidé de suspendre l’irrigation à partir des barrages agricoles des terres situées dans les provinces de Tadla et d’Al Haouz ainsi que dans les régions de Doukkala et Drâa-Tafilalet.
Selon la Banque Mondiale, l’irrigation représente 50 % du PIB agricole et 75 % des exportations du secteur agricole marocain, et elle est cruciale pour plusieurs filières telles que le maraîchage et l’agrumiculture. Cependant, la rationalisation des apports en eau dans les périmètres irrigués se fait de plus en plus sentir, et plusieurs zones ont revu à la baisse leur production en conséquence.
Depuis l’année dernière, le monde rural est plongé dans l’incertitude et l’attentisme. Cette baisse substantielle des approvisionnements en eau devrait avoir un impact sur les exploitations agricoles, qu’elles soient destinées à l’export ou au marché local. Selon l’Association des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL), de nombreux agriculteurs ont eu du mal à honorer leurs engagements en raison de cette situation. Aussi, en raison de la baisse de l’offre de produits, la flambée des prix était inévitable. D’autant plus que même les régions irriguées, qui étaient auparavant moins touchées par la sécheresse, ont été durement impactées.
Bannir les cultures jugées hydrovores
D’autres mesures ont été déployées dont l’interdiction des cultures grosses consommatrices d’eau, particulièrement dans les régions à fort stress hydrique, dont Zagora et Tata. Les autorités ont décidé de stopper les subventions pour l’acquisition de matériel et d’équipement destinés à l’irrigation ou d’aménagement hydroagricole pour les exploitants qui veulent investir dans ce créneau. Lors de son passage au Forum de la MAP, mercredi 15 février 2023, le ministre de l’Équipement et de l’eau, Nizar Baraka, a précisé que cette décision a été prise par une commission conjointe qui comprend, en plus de son département, les ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur. Son objectif: revoir la stratégie Génération Green «pour qu’elle prenne en considération le potentiel hydrique de chacune des régions marocaines». La décision est entrée en vigueur le 11 juillet dernier. D’après le président de l’ APEFEL, Lahoucine Aderdour, « cette décision concerne plus les nouveaux producteurs et les nouvelles plantations de ces produits. Les autres ont déjà pu bénéficier de la subvention et leurs produits sont déjà disponibles sur le marché ».
Aderdour reconnait qu’une telle décision s’impose dans le contexte actuel marqué par une sécheresse inquiétante. Mais il précise que « l’arrêt de subvention ne veut pas dire arrêt de production ». Pour lui, les agriculteurs qui pourront assumer les charges liées à la production continueront à produire. D’ailleurs, «la subvention reste limitée et très faible et en moyenne elle ne dépasse pas 15% contrairement à des pays voisins comme l’Espagne qui propose une aide de l’ordre de 30% à ses agriculteurs », précise le professionnel.
En outre, de nombreux mouvements écologistes appellent à un changement radical de la politique agricole au Maroc pour remédier à la pénurie des ressources en eau. Pour le président de l’association des amis de l’environnement de Zagora Jamal Akchbabe, il aurait été préférable de bannir ces cultures plutôt que d’arrêter la subvention pour les nouvelles plantations. Jalil Rassou, militant associatif issu de la région Tata, estime de son côté que par l’interdiction de la culture de pastèque, le gouvernement opte pour la facilité au moment où il serait plus judicieux de recourir à des moyens comme l’infiltration des eaux de ruissellement, la construction de nouveaux barrages…Il ajoute que cette décision a fortement pénalisé les agriculteurs de la région qui ont investi de puis plusieurs années dans le secteur.
Ce que recommandent les experts
Baraka se dit opposé à l’interdiction formelle de ces types de cultures. D’après lui, il faut faire prévaloir la logique de réglementation et de contrôle au lieu de celle de l’interdiction formelle de ces cultures. « Si les ressources hydriques d’une région permettent la culture de l’avocat, par exemple, on ne l’interdira pas», affirme le ministre istiqlalien. Il ajoute, par ailleurs, qu’il est important de disposer, au niveau de ces terrains agricoles, de compteurs d’eau pour évaluer l’impact de ces cultures sur la nappe phréatique. Pour lui, l’essentiel dans cette nouvelle vision du ministère est de parvenir à rationaliser la consommation des ressources hydriques et à préserver la nappe phréatique du pays. Ainsi, le ministre annonce que son département est sur le point d’établir une cartographie des ressources hydriques au Maroc avec pour objectif de «déterminer la nature des cultures à adopter, et celles à interdire au niveau de chaque région du pays».
Pour leur part les experts préconisent de recourir à d’autres méthodes plus efficaces pour préserver l’eau et optimiser son utilisation. Akchbabe, propose dans ce sens, d’orienter les campagnes de sensibilisation pour économiser l’utilisation de l’eau vers les agriculteurs. Les cultures gourmandes en eau peuvent être ainsi maintenues avec une régulation de la production pour servir la demande locale et une rationalisation de l’irrigation pour limiter les dégâts sur le patrimoine hydrique. En même temps, les professionnels appellent à promouvoir d’autres cultures qui consomment moins d’eau tels que le caroubier ou encore le cactus qui peuvent constituer une alternative adéquate pour le développement environnemental au Maroc. Autre recommandation phare : encourager davantage les techniques d’irrigation rationalisées comme la sonde capacitive qui permet de mesurer via la permittivité diélectrique du sol, l’humidité du sol, en vue de connaître le stock d’eau sur la profondeur explorée par la sonde.