Pastèques, avocats… sont-ils réellement coupables ?!

L’eau est rare. N’empêche que de nombreuses cultures, comme la pastèque, l’avocat… jugées gourmandes en eau, continuent de proliférer. Beaucoup proposent d’interdire cette culture. Mais pourquoi ces cultures sont-elles décriées ? Cela est-il justifié ?
La culture de pastèque figure en effet parmi les cultures les plus gourmandes en eau. Selon les spécialistes, la production d’un hectare nécessite entre 4.000 et 6.000 m3 d’eau par an. D’autant plus que la superficie cultivée au titre de la campagne 2021 a atteint 20.000 hectares (ha), contre 4.500 ha en 2014 et 2.500 ha en 2010, avec un rendement à l’hectare s’élevant à 60 tonnes. La décision d’interdire cette culture intervient à un moment où, par exemple, la ville de Tata souffre d’une grave pénurie d’eau compte tenu du déficit pluviométrique combiné à une nappe phréatique surexploitée. Zagora n’est pas mieux lotie que Tata. Selon le président de l’association des amis de l’environnement de Zagora, Jamal Akchbabe, les eaux de surface dans la région n’arrivent plus à répondre aux besoins en irrigation ou en eau potable et le barrage Ahmed El Mansour Eddahbi n’assure que 10% des besoins. Il ajoute aussi que depuis 2014, les pluies locales ne dépassent pas les 25 mm par an avec une augmentation sensible des températures et une évaporation de l’eau qui a atteint 1200 mm. Pour les eaux souterraines, le potentiel est estimé à quelques 130 millions de m3. « La crise de l’eau pousse donc les agriculteurs, notamment les producteurs des pastèques, à creuser clandestinement des puits et à les exploiter de manière illégale », confie Akchbabe.
Mohamed Taher Srairi, Directeur de la formation en agronomie à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, constate une situation chaotique en ce qui concerne la promotion de la culture de la pastèque dans les zones d’extension des oasis. «Cette culture peut poser des problèmes en amplifiant la rareté de l’eau, épuisant les nappes souterraines et accélérant le rythme d’utilisation de l’eau. Cette situation met en danger l’approvisionnement en eau des centres urbains locaux », alerte t-il.
L’expert souligne également que cette situation est doublement dramatique. D’une part, elle contribue à assécher des zones déjà arides, et d’autre part, elle crée des inégalités entre les opérateurs économiques de la région, la plupart n’ayant pas les moyens d’accéder aux ressources en eaux souterraines. Aujourd’hui, les membres de l’Association des Amis de l’Environnement de Zagora, et bien d’autres militants, appellent les autorités à décréter la ville « zone sinistrée » suite à l’épuisement de ses ressources en eau du fait de la culture de la pastèque à but d’exportation. «Nous exportons des produits qui ont consommé des quantités très importantes d’eau dans les déserts à des pays qui ne souffrent pas de manque d’eau. C’est un vrai non sens écologique », alerte Srairi.
Quid de l’avocat ?
Outre la pastèque, on pointe du doigt aussi l’avocat. Selon le Water Footprint Network, une organisation néerlandaise qui milite pour une meilleure gestion des ressources en eau, la consommation d’eau de l’avocat est quatre fois supérieure à la quantité nécessaire pour produire la même quantité d’oranges ou un kilogramme de tomates. Il faut en moyenne 2 000 litres d’eau pour faire pousser un seul kg d’avocats. Le professeur Yoshihide Wada, directeur adjoint du programme sur l’eau à l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués souligne que « les avocatiers sont des cultures qui nécessitent de l’eau toute l’année. L’irrigation est le seul moyen de soutenir la croissance rapide de la production et des exportations d’avocats ».
Selon les informations fournies par le ministère de l’Agriculture, les besoins en eau annuels moyens pour différentes cultures sont les suivants : 8 000 m3 par hectare pour les avocats, entre 3 800 et 4 300 m3 pour les pastèques (en fonction de la production précoce ou saisonnière) et 12 000 m3 pour les fruits rouges. En comparant ces chiffres avec les estimations des besoins en eau des agrumes (entre 9 000 et 12 000 m3), de la pomme de terre (4 000 m3) et du palmier-dattier (entre 15 000 et 20 000 m3 en fonction de la salinité et du type de sol), on peut constater que ces cultures sont souvent considérées comme étant « gourmandes » en eau à tort.
Encadré : Interdire, pas interdire ?
Il ne suffit pas d’interdire ces cultures, selon els professionnels. D’autres mesures sont jugées nécessaires. Akchbabe, propose ainsi de miser sur l’évaluation et le contrôle des ressources en eau gaspillées, la mise en place d’un programme de formation et d’orientation agricole au profit des agriculteurs…et surtout l’encouragement des cultures alternatives productives et rentables telles que les plantes aromatiques et médicinales. Srairi reste de son côté convaincu que les pouvoirs publics doivent réorienter les politiques agricoles vers la mise en valeur de l’eau pluviale par exemple, réviser intégralement le plan Maroc vert et privilégier des cultures durables et économes en eau. Conscient de l’enjeu, le ministère de l’agriculture a mis en place de nombreuses mesures pour l’extension des superficies sous irrigation et la généralisation des techniques d’irrigation économes en eau.
En plus de sa politique de gestion de l’eau, le département a mis au point de nouveaux mécanismes visant le renforcement de la résilience du secteur agricole marocain face aux changements climatiques ; cela, à travers le remplacement des cultures vulnérables au manque d’eau par des espèces végétales capables de résister aux changements climatiques comme l’olivier, le palmier-dattier, l’arganier, le cactus, l’amandier, le figuier et le caroubier ; le développement et l’utilisation de variétés végétales génétiquement améliorées pour faire face à la sécheresse pour les céréales et les légumineuses et l’encadrement des organisations professionnelles agricoles et le soutien aux investissements, notamment en ce qui concerne l’équipement en technologies économes en eau.