DossiersViandes rouges ... la flambée ne fait que commencer?

Prix des viandes rouges la flambée ne fait que commencer ? par DalaL Saddiqui

Au Maroc, la hausse continue des prix des viandes rouges pèse lourdement sur le budget des ménages. Ce renchérissement entraîne un report vers d’autres sources de protéines animales (volaille, poisson, œufs, viande chevaline), qui s’envolent à leur tour, créant un cercle vicieux inflationniste. Pour y faire face, le gouvernement a lancé des importations massives et accordé des subventions aux éleveurs. Toutefois, ces mesures, bien qu’indispensables, restent insuffisantes pour faire réellement baisser les prix sur le marché.

Les 7 années consécutives de sécheresse, la pandémie de Covid 19 et l’inflation du prix des aliments de bétail sur les marchés internationaux, ont porté un coup dur à l’élevage marocain de viandes rouges. Le cheptel a perdu 38% de son effectif, selon le Ministre de l’agriculture Ahmed El Bouari, qui a précisé, en janvier 2025, que cette baisse a impacté le secteur, faisant passer l’abattage de 230.000 à 130.000 têtes par an.
En outre, le recensement récent réalisé par le ministère entre le 26 juin et le 11 août 2025 a révélé une baisse de 30% du nombre de bovins, qui s’établit à 2 millions au lieu des moyennes habituelles de 3 millions de têtes. Ce phénomène peut s’expliquer notamment par la pandémie de la Covid 19 qui a eu de lourdes conséquences sur le cheptel. La baisse de demande de lait durant cette période a conduit les industriels à réduire la collecte, ce qui a contraint les éleveurs de vaches laitières à vendre leurs bêtes pour l’abattage, d’autant que durant la même période, les cours mondiaux des matières premières des aliments de bétail comme le mais et le soja ont connu une forte hausse, ce qui ne leur permettait plus de nourrir leurs bêtes. Cela a eu des conséquences désastreuses car l’abattage de vaches réduit le cheptel mais empêche surtout sa reproduction, ce qui a un impact direct sur sa régénération et sa pérennité.
Suite à ces différents facteurs, les prix de la viande bovine n’ont cessé d’augmenter jusqu’à dépasser le cap des 100 DH le kilogramme. Les années 2022-2023 ont marqué le début de la flambée des prix.
Des mesures d’urgence ont donc été prises par le ministère de l’Agriculture, parmi lesquelles l’interdiction d’abattage des femelles bovines destinées à la reproduction et la suspension des droits de douane et de la TVA à l’importation des bêtes destinées à l’abattage. Par la suite, cette disposition a été étendue aux bêtes destinées à l’engraissement, ainsi qu’à la viande rouge fraiche, réfrigérée ou congelée et aux abats. Les mesures d’importation ont même été assouplies en mars 2025 pour que les bouchers puissent eux-mêmes importer les viandes et les abats. A la fin du premier semestre, le Maroc totalisait 91.000 têtes de bovins importés et en septembre de la même année, le quota d’importation de bovins domestiques, initialement limité à 150.000 têtes a été doublé pour atteindre les 300.000 pour la totalité de l’année 2025.

Le bovin brésilien à la rescousse
Après un timide démarrage d’importation de bovins en 2023, de 17.500 tête venues d’Espagne (14.700) et du Brésil (2.800), le Maroc a donc opté de manière franche pour une politique d’importation beaucoup plus agressive et son choix s’est porté sur le bovin brésilien et plus précisément la race Nélore.
Le choix du Brésil comme principal fournisseur a été motivé par de nombreux facteurs. Tout d’abord; l’Espagne a une capacité d’exportation insuffisante alors que le Brésil est le premier exportateur mondial de bovins. La raison pour cela est la qualité de sa race bovine, Nélore, aussi appelée vache-Zébu. Cette imposante vache blanche offre une bonne qualité de viande, est très résistance aux climats chauds comme froids, a la capacité de s’adapter aux pâturages pauvres et secs et à vivre avec
peu d’eau, ce qui la rend adaptée à la vie dans la nature, notamment sous les cieux du Royaume. Mais le principal atout de cette vache d’origine indienne est le fait qu’elle soit élevée au Brésil, ce qui rend son coût très compétitif. En effet, le climat tropical brésilien, dont la température moyenne est de 30°C avec une atmosphère humide et des pluies fréquentes, permet au leader mondial de l’élevage d’entretenir de vastes pâturages, sur de larges surfaces agricoles et donc un élevage extensif à faible coût de revient tout en bénéficiant d’une main d’œuvre à bas coûts. Ainsi, malgré la grande distance de l’Amérique latine comparée aux fournisseurs européens, le bovin brésilien est compétitif.

Une facture de plus en plus salée
Cependant, le circuit d’importation de la viande bovine, depuis son port de départ jusqu’à l’assiette du consommateur est complexe et très onéreux. Les différentes autorisations et certifications préalables, les frais de transport qui se comptent en dizaines de millions de dirhams par bateau, l’assurance maritime, le risque de mortalité de certains bestiaux durant le transport, la mise en place de la quarantaine dans des lazarets agréées de taille suffisante et répondant aux normes, la mise en conformité et l’équipement, les contrôles vétérinaires, les camions réfrigérés de transport sur le territoire national pour les viandes fraiches et congelées et les abats, le respect de la chaine du froid,
la certification Halal… L’importation est un casse-tête logistique dont chaque étape a un coût, qui annule les baisses de prix escomptées et sera supporté par le consommateur final en bout de chaine. Il faut également noter que l’importation coutera de plus en plus cher car le marché international des viandes rouges est en train de flamber à son tour et que la viande brésilienne suit cette tendance alarmante. L’Indice des prix des produits alimentaires de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui mesure la variation mensuelle des cours internationaux d’un panier de produits alimentaires de base, a affiché au mois d’août 2025 un indice de 130.1, soit une hausse de 0,6% par rapport au mois de juillet et de 4,9% de plus qu’une année plus tôt, notant que c’est le niveau le plus élevé jamais enregistré et que cette hausse du prix du panier alimentaire est due essentiellement à l’augmentation continue des prix des viandes rouges.
L’organisation mondiale explique cela par « les prix internationaux de la viande de bovins qui ont atteint un nouveau record, soutenus par une forte demande des États-Unis, qui a fait grimper les prix australiens, et par une forte demande à l’importation de la Chine, qui a maintenu les prix à l’exportation brésiliens à un niveau élevé malgré la baisse des ventes aux États-Unis à la suite de l’imposition de droits de douane supplémentaires ».
En effet, la demande croissante chinoise ne cesse de faire grimper les prix internationaux, que ce soit au niveau des viandes elles-mêmes ou des aliments nécessaires à l’engraissement du bétail, ce qui a aussi un impact sur la hausse du prix de l’alimentation humaine en général, notamment en termes de céréales et de soja.

Une viande bovine de plus en plus rare
Un autre facteur, souvent oublié, pousse également les prix des viandes à la hausse : il s’agit des contraintes environnementales. La guerre a en effet été déclarée à l’élevage bovin par l’Union Européenne qui souhaite, par son Pacte Vert pour l’Europe, initié en 2019, atteindre la neutralité climatique en 2050, ce qui passe par une réduction des effets de serre notamment par une baisse des élevages bovins. Les pays européens ont donc réagi pour répondre à cette contrainte, comme c’est le cas de la France, dont la Cour des comptes stipule que les ruminants sont « jugés responsables d’un bilan climatique défavorable à cause du méthane émis » et recommande une réduction du cheptel bovin pour diminuer l’emprunte Carbonne du secteur agricole.
Aux Pays Bas, deuxième exportateur agricole au monde après les Etats Unis, de violentes manifestations ont soulevé les éleveurs de bovins suite au plan du gouvernement néerlandais en 2022 pour réduire les émissions d’oxyde d’azote, un gaz à effet de serre, en réduisant de 30% le cheptel afin de se conformer aux exigences européennes.
Plus récemment, l’approbation en septembre 2025 par la Commission Européenne des accords de libre échange de l’Union Européenne avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), qui prévoit de supprimer 90% des droits de douane, a réalimenté les tensions et risque de mettre le feu aux poudres. Les éleveurs français avaient déjà manifesté leur mécontentement en juillet de cette année en se rassemblant devant l’ambassade du Brésil à Paris, et le Syndicat agricole FNSEA a lancé un appel pour une grande journée d’action le 26 septembre. Les importations mettent en effet en péril la filière élevage de bovins européen qui vont se voir confrontés à des sérieux concurrents d’Amérique latine dont les normes de production sont plus souples que les normes européennes et sont donc moins coûteuses.
Tous ces événements laissent aisément prévoir une raréfaction de la production de l’élevage bovin en Europe et une forte demande vis-à-vis des pays du Mercosur, ce qui va, encore une fois, participer à l’inflation du prix de la viande rouge déjà critique Dans ce contexte, il est important de se poser la question de l’efficacité de l’importation de viande bovine pour soulager le porte-monnaie des consommateurs marocains, d’autant que l’import n’a pas renversé la vapeur inflationniste au niveau national

Des prix « hors budget » des ménages

La part des dépenses alimentaires dans le budget total des ménages marocains est passée de 37% en 2014 à 38% en 2022 selon la dernière enquête Nationale sur le niveau des ménages 2022-2023
publiée par le Haut commissariat au Plan (HCP). Or le coût de la vie a connu une hausse en 2024, notamment dû au prix des viandes rouges, du poulet et même des légumes, ce qui a forcément dû impacter ce pourcentage à la hausse. A noter que par personne, le revenu annuel moyen est de 21.949DH, soit 1.829DH par mois selon le HCP, qui précise que près de 7 ménages sur 10 ont un revenu inférieur à cette moyenne. Le calcul est vite fait : les prix des viandes rouges qui dépassent les 100Dh le Kg et le poulet prêt à cuire qui gravite autour des 40DH sont plus qu’un luxe pour le Marocain moyen.

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