Hassan MENOUAR: il y a une vraie souffrance sociale en Algérie
Pénurie constatée dans certains produits alimentaires, flambée des prix, dégradation du pouvoir d’achat…en Algérie, les ménages sont pris à la gorge. Explications de Hassan Menouar, président de l’Association nationale de protection des consommateurs en Algérie (El Aman)

Le phénomène de pénurie des produits alimentaires de base en Algérie est récurrent. D’où vient le problème ?
Il ne s’agit pas de pénurie. On parle plutôt de perturbations au niveau du marché liées à l’approvisionnement ou la distribution. Ces perturbations sont dues à plusieurs raisons. D’abord, il y a l’absence d’un système de régulation du marché. Les spéculateurs profitent alors de la situation surtout lors des périodes de fêtes religieuses, ramadan…Ensuite, il y a des perturbations liées à un problème de culture de consommation. Certains consommateurs recourent au stockage des aliments à titre de prévention d’une éventuelle pénurie sur le marché. Donc finalement c’est le consommateur qui fait sa propre régulation. Il fait ses propres prévisions surtout pour les produits largement consommés.
Depuis le début du mois de février, une polémique a éclaté autour de la de l’indisponibilité de l’huile de table sur le marché, pourtant un produit de base nécessaire. Comment expliquez-vous cette pénurie ?
Les perturbations de l’approvisionnement en huile de table récemment observées sur le marché algérien ont été causées par des commerçants qui refusent de mettre en œuvre les instructions du ministère du commerce les obligeant à facturer les transactions réalisées. Avant, ils avaient l’habitude de distribuer le produit sans factures et donc sans payer d’impôts. Avec cette nouvelle exigence, ils se sont retirés du marché et freiné la distribution du produit. Ils ne veulent pas vendre ce produit sous prétexte qu’ils n’ont pas de marge bénéficiaire. La tension sur l’huile de table s’explique aussi par la ruée des fabricants de gâteaux traditionnels algériens pour acheter de grosses quantités d’huile de table afin de constituer des stocks qui leur garantiront le maintien de leur activité pendant le mois sacré du Ramadan, la période la plus importante pour leurs activités commerciales. Autre facteur déterminant : le gouvernement a donné son feu vert pour la réouverture des restaurants collectifs, fermés pendant le confinement. D’un seul coup, tous les opérateurs notamment les cantines scolaires, les cités universitaires, les restaurants du secteur industriel… ont repris leurs activités au même moment. Ce rush sur l’huile a provoqué une pression sur le marché pendant un moment. Actuellement, tout est rentré dans l’ordre et le ministre du commerce a appelé les opérateurs à alimenter le marché de manière continue et travailler 3X8 pour faire face à la demande grandissante sur le produit lors de cette période. En tant qu’association du consommateur, cette rareté de l’huile de table est la bienvenue dans la mesure où c’est un produit néfaste pour la santé. Et donc nous avons profité de cet incident pour sensibiliser autour des bienfaits de l’huile d’olive afin d’encourager sa production et sa consommation.
L’huile de table n’est cependant pas le seul produit à faire l’objet d’une pénurie potentielle. Il y a le lait également. Qu’en est-il réellement ?
Le lait fait partie des produits subventionnés par l’Etat à côté de la farine, les carburants, le gaz, l’électricité et le logement. Les algériens consomment beaucoup de produits laitiers et donc ils les achètent en grande quantité et les stockent. Ensuite il y a toujours cette politique de subvention qui ouvre la voie à des pratiques frauduleuses de la part de certains producteurs et commerçants, comme le détournement…, nuisibles à la fois au citoyen et à l’économie algérienne.
Peut-on donc parler de défaillance du système de distribution en Algérie ou plutôt de production ?
En l’absence d’un réseau professionnel, le marché est dominé par l’informel et les intermédiaires. Tant qu’il n’y aura pas de plateformes stratégiques destinées à la régulation des produits de large consommation, nous continuerons à subir ces phénomènes de perturbations au niveau de la distribution et de non-maîtrise des prix Malheureusement, l’intermédiation entraine une hausse des prix et n’assure pas de sécurité sanitaire pour les aliments. De nombreux projets sont en cours de réalisation pour assainir le marché, mais pour le moment ils sont en arrêt provisoire à cause de la crise sanitaire ce qui laisse le champ libre à l’informel.
On ne peut pas toutefois pas nier la dégradation tendancielle du pouvoir d’achat de l’Algérien moyen. Pourquoi une telle situation à votre avis ?
Vu que les salaires n’ont pas été augmentés depuis des années, le pouvoir d’achat a dégringolé avec le temps. Cela d’autant plus que les prix des produits de large consommation ont sensiblement augmenté en particulier lors de la crise sanitaire suite au renchérissement des cours à l’international, la dévaluation du dinar algérien, la hausse des tarifs de transport maritime, etc. On observe ainsi une flambée des prix des produits allant de 5 à 10% sur le marché. Et cela impacte le pourvoir d’achat surtout de la classe démunie et celle moyenne qui étaient déjà en souffrance avant le covid-19. La pandémie a aggravé encore la situation et aujourd’hui beaucoup se retrouvent sans emploi ni ressources. Il y a donc une vraie souffrance sociale. Et il faut savoir aussi que les algériens ne sont pas dans cet esprit de recourir à l’endettement auprès des banques pour consommer. Ils ne s’endettent que pour acheter un logement ou un véhicule. Mais pas pour la consommation domestique.
Même pas pour acheter des biens d’équipements ?
Plus maintenant. C’était le cas, il y a presque une quinzaine d’années. Mais les banques ont fermé les robinets en raison des problèmes d’impayés. Aujourd’hui, pour acheter un bien d ‘équipement, les consommateurs peuvent recourir à l’entraide familiale ou opté pour les facilités de paiement mises en place par les commerçants.