Des scandales à répétition!

Pour booster l’importation de viandes rouges et baisser leurs prix, le gouvernement a lancé un large programme de subventions, d’aides et d’exemptions de taxes. Mais son manque d’effets concrets sur les prix finaux a fait grand bruit et suscité de nombreuses questions, notamment lorsque des partis politiques ont décrié l’opacité qui entoure ces subventions. Selon Nabil Benabdellah, secrétaire Général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), ces aides ont totalisé 13.3 milliards de dirhams (MMDH) au profit de seulement 277 importateurs de bovins et d’ovins entre 2022 et 2024. Selon les données recueillies par le PPS, le montant a totalisé pour la filière bovine une enveloppe de 8.04 MMDH comptant 7.3 MMDH de suppression des droits de douane et 744 MDH de prise en charge de TVA à l’importation et cela au profit de quelque 133 importateurs. Ce qui pose des questions de clientélisme.
Même son de cloche du côté de Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce, qui a dénoncé des irrégularités majeures dans l’utilisation des aides publiques, pointant du doigt 18 grands acteurs du marché qui auraient artificiellement gonflé leurs marges bénéficiaires. Le ministre Istiqlalien a souligné que bien que l’objectif du gouvernement était d’augmenter l’offre en facilitant l’importation pour faire baisser les prix, les marges bénéficiaires des importateurs se situent entre 20 et 25 DH/kg, alors qu’elles n’auraient pas dû dépasser les 10 DH. Ajoutant que les bouchers traditionnels enregistrent des marges de 8 à 10 DH/kg. Ainsi, il note qu’au total, les marges globales ont grimpé à 40 DH/kg, contre 20 à 25 DH/kg auparavant, ce qui, selon lui, apporte la preuve d’une mainmise excessive d’un petit nombre de spéculateurs.
En mars 2025, la polémique a enflé suite à l’ouverture d’une enquête par la Brigade Nationale de Police judiciaire (BNPJ) sur le détournement possible de ces 13 milliards de subventions en passant au crible ses bénéficiaires. Cette enquête vient rappeler celle qui avait été lancée en 2024 par la BNPJ sur l’affaire des malversations liées aux subventions destinées aux éleveurs, détournements et dysfonctionnements entourant la gestion, cette fois-ci, de la Fédération Interprofessionnelle des viandes rouges (FIVIAR) et qui s’est conclue par l’arrestation et la détention préventive de son président, M’Hammed Karimine et la paralysie de ladite fédération.
Puis en avril 2025, les groupes parlementaires du PJD, du PPS et du MP rejoints par l’USFP sont de nouveau montés au créneau, cette fois-ci de concert, pour demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les subventions accordées aux importateurs de bétail pour lever le voile sur les éventuelles irrégularités. Autant dire que le système des aides et subventions étatiques à l’importation, qui pèsent lourdement sur les dépenses publiques, n’est ni efficace, ni sain, d’autant qu’il pèse à la fois sur les finances du citoyen marocain en tant que contribuable et en tant que consommateur, ce qui équivaut à une double peine.
Développer le Made in Morocco
De nombreux professionnels du secteur s’accordent à dire que les milliards de dirhams d’aides àl’importation auraient été bien mieux utilisés pour développer le cheptel national avec des races Made in Morocco qui contribuerait à la pérennisation du secteur des viandes rouges et à assurer la sécurité alimentaire des Marocains.
C’est le cas de Bouazza Kherrati, vétérinaire et Président de la Fédération marocaine des droits du consommateur, qui regrette que le Maroc ait abandonné le pastoralisme et affirme que « si le Plan Maroc Vert avait tenu compte de l’élevage, nous ne vivrions pas cette crise. Depuis toujours, le
Royaume est un pays d’élevage de lait et de miel et les marocains étaient connus pour être de grands pasteurs. Malheureusement le pastoralisme comme science pour le développement du parcours a donné place à l’arboriculture. Or de grands parcours ont été transformés en champs d’oliviers qui sont morts suite à la sécheresse et ont fini par être arrachés et brulés. Des milliards partis en fumée
». Le spécialiste rappelle que l’importation n’est pas un phénomène nouveau, et que cela a été un choix motivé par le profit, ce qui a nuit au développement des races autochtones comme la Brune de l’atlas. Cette race mixte, c’est à dire laitière et à viande, peu gourmande et adaptée aux zones arides et montagneuses, avait été développée et améliorée au temps des colons. Après l’indépendance, il existait même des stations pour la production des semences. Malheureusement, pour des raisons de profit de certains, toutes les recherches au niveau national ont été abandonnées pour développer l’importation de vaches laitières, qui a commencé en 1972, pour combler le déficit en matière de viande et de lait. « Le Maroc importait des vaches de haute valeur génétique, or cela revient à acheter des Rolls Roys pour les faire rouler sur la piste, car le champs marocain n’a pas les niveaux pluviométriques de l’Europe ou de l’Amérique du Nord dont elles sont originaires. Pour produire le fourrage de ces vaches, cela nous coutait cher car il fallait pomper l’eau et cela détruisait la nappe phréatique. L’élevage n’a pas été pris au sérieux et jusqu’à présent, les importations augmentent, et le déficit augmente. Pourquoi ne trouve-t’on pas d’autres alternatives ? Il y en a et il faut les développer, tout simplement en créant une vache marocaine », affirme Kherrati.
Pour ce faire, le docteur vétérinaire préconise de suivre l’exemple de nos voisins Egyptiens, qui ont développé la cuniculture en important des lapins d’Australie et en les croisant avec les races locales pour développer une race adaptée à leur climat et qui leur fournit aujourd’hui 37% des besoins de viande du peuple égyptien. Il alerte notamment sur la vache Beldi qui est en train de disparaitre. Or elle est adaptée depuis des siècles au climat marocain, au point qu’elle a adapté sa gestation à la pluviométrie. Lorsqu’il pleut, elle se met gestation, et lorsqu’il ne pleut pas, elle ne le fait pas. Une
des incroyables prouesses de la nature.
Les coûts cachés de l’importation Il existe un prix de l’importation qui n’apparait pas sur une affichette ou une facture. Il s’agit du prix social. Historiquement, les paysans marocains ont toujours considéré la vache comme leur porte monnaie. Source de richesse et de subsistance, elle leur permet de subvenir à leurs besoins quotidiens par la vente de son lait et leur sert d’investissement qui peut être vendu en cas de coup dur ou pour des dépenses de mariages… L’abandon de l’élevage, et donc de cette pratique de thésaurisation, est également synonyme de précarité économique dans les milieux ruraux. Mais il existe un coût encore plus important. « L’abandon de l’élevage, une activité ancestrale au Maroc, la seule activité qui maintient l’agriculteur dans la campagne, un facteur de lutte contre l’exode rural, a ébranlé tout le système et nous sommes aujourd’hui en train de payer cher cette erreur », déplore Kherrati.
En conclusion, l’importation des viandes rouges pour baisser les coûts consiste à mettre un pansement sur une jambe de bois à coup de milliards. Ces montants devraient plutôt être alloués à de véritables politiques publiques de régulation de contrôle des marchés des viandes, de recherche pour développer des races marocaines adaptées à la sécheresse et aux zones montagneuses, dans les aides à destination des petits éleveurs pour reconstituer et pérenniser leur cheptel, tout cela afin de soulager les dépenses des ménages et assurer la sécurité alimentaire des marocains tout en évitant l’exode rural. Le Maroc semble avoir retenu sa leçon. Les subventions et suspensions de droits de douanes et de TVA à l’importation d’ovins et de caprins seront arrêtées à partir de fin septembre 2025. Les mesures d’exonération sont maintenues pour les bovins afin de poursuivre la reconstitution du cheptel et des soutiens financiers sont désormais mobilisés pour les éleveurs marocains pour renforcer leur cheptel. C’est dans cette logique qu’en application des Hautes instructions Royales, le gouvernement a mobilisé 11 MMDH pour soutenir massivement et directement les éleveurs et mettre en valeur l’effet positif des récentes précipitations en créant des conditions favorables à la reconstitution du cheptel. Ce financement est destiné à l’acquisition d’aliments pour bétail, la préservation des femelles reproductrices, l’allégement des dettes des éleveurs et l’organisation de campagnes de vaccination et d’encadrement technique.